Noël Alain olivier Mekulu Mvondo Akame éclaire la lanterne de l’opinion publique sur le bien-fondé de cette politique de l’Etat, à la faveur d’une interview accordée à la chaîne de télévision Telesud.
« L’entretien du jour » est consacré au personnel domestique ou personnel de maison pour laquelle vous avez eu la vaillante idée de faire une couverture sociale, grâce à des cotisations sociales imposées aux employeurs. Est-ce que vous pouvez en dire plus ? Depuis quand cette mesure existe-t-elle et comment l’avez-vous mise en place ?
C’est une mesure qui procède en fait de la législation. Mais, nous avons voulu la remettre au goût du jour, parce que nous avons noté un faible engouement de cette catégorie d’employeurs à immatriculer ces personnels-là d’un type particulier.
Cette cotisation sociale était dans la loi et prévue comme une obligation. N’était-elle pas assortie de sanctions ?
C’est quelque chose sur laquelle on n’avait pas souvent mis beaucoup d’emphase, mais toutes les sanctions à l’égard des employeurs sont prévues. Nous avons pensé, et c’est d’ailleurs la suite, une réclamation de l’observation que nous faisons avec ce dont nous disposons que le personnel domestique est très peu immatriculé, donc très peu couvert. Dans notre plan stratégique, nous avons décidé de mettre beaucoup d’accent là-dessus dans les cinq prochaines années à compter de septembre 2022.
Quand vous dites que le personnel de maison est très peu immatriculé, cela signifie qu’il n’était pas déclaré ?
Tout à fait. Cela procède peut-être de certains aspects culturels. Certains pensent qu’employer entre guillemet quelqu’un de la famille, quelqu’un de proche en tout cas, ou quelqu’un qui allait et venait sans une grande stabilité n’imposait pas une obligation d’immatriculation au niveau des payements de cotisations sociales. Eh bien, nous sommes là pour rappeler que quel que soit la durée que passerait un employé dans un domicile, même si c’est un mois, même si c’est trois semaines, il faut déclarer ce personnel et payer les cotisations sociales qui vont avec. Cette campagne coure depuis septembre 2022 et nous espérons que les Camerounais comprendront l’intérêt d’immatriculer le personnel domestique.
Est-ce que cette mesure est respectée par les privés ?
Disons dans les domiciles, là où on a affaire au personnel domestique, c’est l’individu qui se transforme en employeur. Si vous employé un domestique chez vous, vous êtes employeur et le domestique est travailleur, vous avez l’obligation de le déclarer, de l’immatriculer et de payer ses cotisations sociales. Donc, nous tous, nous sommes à ce titre-là employeur de main d’œuvre domestique et donc nous sommes liés à toutes les obligations légales à cet égard.
La mesure est en place depuis septembre 2022. Est-ce que vous avez des chiffres concernant ces immatriculations ?
Oui ! ça a commencé un peu timidement. Nous avons lancé la communication auprès des hautes responsables. A ce jour, ce n’est pas encore extraordinaire. Nous sommes à peu près à un plus de 500 immatriculations. D’ici la fin de 2023, nous espérons arriver à des chiffres un peu plus éloquents. Beaucoup de membres du gouvernement nous accueillent et on leur explique. Beaucoup ont immatriculé leurs personnels domestiques. Je crois que c’est un oubli pour certains. Les parlementaires aussi, parce que nous voulons d’abord toucher la haute classe, parce que c’est elle qui doit montrer l’exemple, puis nous descendrons progressivement par pallier vers les simples cadres dont, surtout les femmes. Et c’est assez paradoxal, puisque généralement ce sont les femmes qui emploient le personnel domestique, parce que ce sont elles qui recrutent dans les foyers en général, et ce personnel se substitue plus ou moins à ces femmes dans l’entretien des domiciles, le suivi des enfants. Mais, nous notons parfois que les femmes, hélas, ne se sont pas beaucoup empressées d’immatriculer leurs personnels domestiques. Mais, avec la campagne d’explications, nous pensons que la mousse prend et de plus en plus, les gens en prennent conscience en se livrant à l’immatriculation tant attendue par tous.
Est-ce que l’application de cette mesure coûte cher ?
En soi, on n’a pas besoin de prendre des mesures incitatives. C’est la loi. Il faut l’appliquer.
Est-ce que cette mesure est assortie de sanctions ?
C’est assorti des sanctions que nous n’avons pas encore appliquées. Nous voulons d’abord épuiser la communication. Ce sont les mêmes sanctions que pour tout autre employeur. C’est-à-dire que si vous êtes défaillant, nous pouvons prononcer des pénalités de retards, parce que vous n’aurez pas déclaré le personnel ; des majorations de retards, parce que vous n’aurez pas payé les cotisations sociales ; nous pouvons même saisir votre salaire auprès d’une banque…, nous pouvons saisir les comptes, nous pouvons saisir votre véhicule qui roule sur la voie publique, nous pouvons le saisir, s’il est établi que vous ne vous êtes pas acquitté de votre obligation. Bon, on ne va pas en arriver là, j’espère en tout cas à la fois pour l’honorabilité de ces personnes et pour la paix sociale, mais nous pensons qu’avec beaucoup d’explications, nous allons y arriver. Pour ce faire, nous allons recruter un grand nombre de collaborateurs pour la cause et pour le grand bonheur de ces personnels qui sont souvent abandonnés. C’est l’un des métiers les plus difficiles. Ils sont souvent exposés à des accidents domestiques et parfois à un certain âge, on ne peut plus travailler. Qu’est-ce qu’on fait quand on n’a plus de salaire ? Il faut avoir une pension de retraite. Et lorsqu’ils ont un accident de travail, la Cnps peut les couvrir ; lorsqu’ils ont des enfants, la Cnps peut payer les prestations familiales. Donc, c’est au bénéfice de ces gens vraiment pour ce qu’ils payent. Je crois que l’Etat a prévu un régime très généreux. Ce que nous payons à la limite couvre totalement lorsqu’ils ont deux ou trois enfants.
Quand vous dites prestations familiales, qu’est-ce que ça comprend ?
Nous payons les allocations familiales pour les enfants scolarisés, soit 2800 Fcfa par enfant tous les mois. Lorsque la femme est en maternité, nous payons les frais de maternité, les frais de naissance qui couvrent une partie tout au moins des frais médicaux… Lorsque le personnel est en état d’invalidité pour cause d’accident de travail assez grave, nous payons une pension d’invalidité selon les cas. Ce sont des prestations assez lourdes. Lorsqu’on part à la retraite, c’est toute la vie y compris après le départ aux ayants droits, aux enfants jusqu’à la majorité. Ce sont des montants assez consistants. Tout le monde a intérêt à les immatriculer, parce que c’est un régime qui leur est extrêmement favorable. Au titre des risques professionnels, nous avons des catégories, des types de taux par catégories de personnes…
Pour un employeur, ça coute combien ?
C’est selon le salaire. Supposons qu’un personnel domestique perçoive un salaire mensuel de 100.000 Fcfa, en additionnant les risques professionnels, les prestations familiales et la pension, ça va chercher dans les 17,1 %, c’est-à-dire 17.150 Fcfa, soit 4,2 % à la charge de l’employé et les 13 % restant pour l’employeur. Pour un personnel qui a un salaire de 100.000 Fcfa, de ce salaire, on ne prélèvera que 4200 Fcfa. La différence de 4200 Fcfa et 17.150 Fcfa, c’est l’employeur qui la paye. Donc, c’est 17.150 moins 4200 Fcfa que paye l’employeur.
Est-ce qu’aujourd’hui, les employeurs et les salariés sont conscients de ce bénéfice ?
De ce qui m’est rapporté, il y a une certaine réticence, oui ! Il faut le reconnaitre, paradoxalement de la part de ces personnels. Mais, nous pensons qu’avec l’explication, ils comprendront. Je vous ai pris le cas de la maternité. Si on prélève de votre salaire 4200 Fcfa par mois et que vous avez deux enfants uniquement au titre des allocations, vous êtes déjà gagnant. Car, vous avez déjà 5600 Fcfa tous les mois alors qu’on ne vous prélève que 4200 Fcfa. Si vous en avez, à plus forte raison, trois, quatre, cinq ou six, ça peut même équivaloir à votre salaire ou la moitié en tout cas. Qui est finalement gagnant ? Ce sont eux. Donc, l’explication qu’on leur apporte vise à vaincre cette réticence qui est spontanée. On peut le comprendre, parce que si le salaire est faible, 4200 Fcfa peut paraître significatif. Mais, à la longue, ils se rendraient très vite compte qu’ils sont gagnants et que l’engouement gagne.
Est-ce que pour vous, c’est une avancée sociale ?
Nous avons une tutelle, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, qui pilote la politique en la matière du gouvernement et nous avons un excellent soutien de la part de ce ministre et de toute son équipe, pour faire avancer cette politique… Nous, ce sont les risques professionnels, c’est-à-dire que si vous avez un problème de santé lié au travail, c’est nous qui nous en occupons.
Est-ce qu’il est prévu la mise en place des contrôles ?
Oui ! Nous envisageons de faire des contrôles. C’est quelque chose de difficile à mettre en place. Nous n’allons pas agir par intrusion dans les domiciles. Le domicile, de par la loi, est inviolable. Mais, nous sommes en train de mettre en place des méthodes, même si c’est un peu coûteux, pour avoir la conviction qu’un employé domestique n’est pas déclaré et immatriculé.
Quelles sont ces méthodes ?
Nous n’allons pas les dévoiler. Ce sont des choses que nous expérimentons. Nous utilisons un personnel pas seulement le nôtre, mais qui relève d’autres services de l’Etat ou privé, pour recueillir des informations qui nous permettent de savoir que lorsque nous faisons un redressement à un individu, qu’on soit capable de lui apporter la preuve qu’il emploie un personnel non déclaré et immatriculé.
Propos décryptés par Bertrand TJANI