Charmant Ossian, Camerounais établi à Londres et expert international en pétrole et gaz, s’est exprimé dans une récente livraison du journal « Le Messager », pour relever que le problème des carburants aujourd’hui n’est pas le réservoir, mais le robinet. Pour une solution urgente, même si elle ne saurait être pérenne, selon lui, les acteurs du secteur peuvent augmenter les réserves de sécurité. Car, la New Development Bank représentant 41% de la population mondiale, 25% des richesses produites chaque année, est comme une alternative aux grandes institutions Fonds Monétaire Internationale/Banque mondiale.
« Le Messager » : l’actualité dans le secteur du pétrole est marquée par l’annonce des pays producteurs de pétrole de la réduction de leur production dès le mois de mai 2023 et ce jusqu’à la fin de l’année. Avant de revenir à ce qui explique cette décision, Charmant Ossian, savez-vous que le Président de la République, Chef de l’Etat du Cameroun, a mis en application vos orientations relatives à l’augmentation du prix du pétrole à la pompe et revu à la hausse les salaires ? Il faut reconnaître que vous avez vu juste ou que Son Excellence Paul Biya lit le journal « Le Messager », ou alors s’il vous connait particulièrement ?
Charmant Ossian : me connaître particulièrement serait un grand honneur. Cependant, je sais que le Président de la République, son illustre épouse et leurs équipes connaissaient tous les Camerounais de l’intérieur comme de l’extérieur. Par conséquent, ils suivent avec une attention particulière toutes les analyses qui participent au bien-être des Camerounais et à la cohésion de l’unité nationale. Je ne doute pas un seul instant que l’historique quotidien « Le Messager » soit lu au plus haut niveau de l’Etat. Donc, les analyses qui y sont faites par ma modeste personne ne peuvent que trouver une oreille sensible au très haut niveau de l’Etat tout en vous rassurant que les proches collaborateurs de S.E. Paul Biya aient certainement fait des suggestions à qui de droit, pour une décision certaine avant notre conversation.
Pour ce qui est de votre remarque, il faut reconnaitre que les analyses sur l’augmentation contrôlée des produits des hydrocarbures implémentée par l’Etat du Cameroun a permis d’éviter une crise sociale en choisissant le juste milieux. Naturellement, une revalorisation des salaires a été implémentée, ce qui est une chose logiquement normale. Ce furent des mesures urgentissimes qu’il fallait implémenter sur le très court terme. Cependant, les autres suggestions relatives à la construction d’une seconde raffinerie après restructuration de la Société Nationale de Raffinage (Sonara : Ndlr) et la construction des pipelines répondraient de manière pérenne aux défis auxquels le Cameroun fait et fera face dans les mois et années à venir sont à court et moyen termes. Je ne doute pas que les institutions et administrations concernées soient déjà dans la mouvance d’implémentation.
Puisque vous avez bien planté le décor, revenons sur le prétexte de cet entretien. Pour l’expert, qu’est-ce qui explique la décision des pays producteurs du pétrole de réduire leur production dès le mois de mai 2023 jusqu’à la fin de l’année ?
Les principaux pays exportateurs de pétrole viennent effectivement d’annoncer une réduction de leur production ce qui mécaniquement fera remonter les prix du Brent/Wti dans les prochains mois. Vous avez sans doute constaté que les prix du pétrole connaissent une hausse de 6 % après l’annonce surprise de ces grands pays exportateurs. Ces pays présentent cette décision comme étant ‘’une mesure de précautionpour stabiliser le marché’’. Pour ma part, au-delà de toutes batailles géostratégique et géopolitique, je dirais que cette baisse de production s’explique par la volonté de ces grands producteurs de soutenir les prix du brut au-delà de leur niveau actuel, soit un minimum de US$85 le baril en tenant compte que c’est en mars dernier que le prix du baril a atteint son plus bas niveau en 2 ans.
Il faut noter que ce n’est pas une décision de l’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (Opec : Ndlr) dont certains sont membres, en l’occurrence l’Algérie, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et le Koweït. Voici les chiffres exacts de cette coupe annoncée à Ryad va réduire sa production de 500.000 barils par jour (Bpj : Ndlr) ; l’Irak de 211.000 bpj ; les Emirats de 144.000 bpj ; le Koweït de 128.000 bpj ; l’Algérie de 48.000 bpj et Oman de 40.000 bpj. Stratégiquement, cette baisse de production pourrait même avoir été motivée par les pays de l’Opec, parce que Moscou a aussi annoncé une coupe de production de 500 000 bpj jusqu’à la fin de l’année. Pour Moscou, durant cette période d’incertitude sur le marché de l’or noir, sa décision est une action responsable et préventive. Au total, c’est une baisse de la production d’environ un million de barils par jour.
Autre chose qu’il faille prendre en compte est la menace persistante de demande en pétrole vue sous le prisme d’une perspective d’une inflation ainsi que quelques pressions de récession suscitées par les faillites des banques crédit suisse et Silicon Valley Bank ainsi que leurs sauvetages. Je crois qu’il serait important de noter que cette baisse de production n’a pas l’assentiment de l’administration des Usa, qui prône une augmentation de production et de la Chine (le pays plus grand consommateur de l’or noire), qui relance son économie post-Covid-19.
En une phrase et de manière simple, qu’est-ce qui explique cette réduction de production par ces pays grands producteurs ?
Cette coupe de production des grands pays exportateurs est une initiative volontaire, pour mettre en place des précautions visant à soutenir la stabilité du marché pétrolier (Brent et Wti) à plus de US$85 le baril avec pour conséquence directe, voire ce prix avoisiner US$100+ le baril d’ici octobre 2023. Il faut reconnaitre que la baisse du prix du baril est une bonne chose pour les consommateurs, parce que permettant de maitriser l’inflation alors que la hausse, qui est l’indicateur par excellence puissant, augure une hausse des taux d’intérêts des banques centrales.
Quels sont les répercussions sur le marché international et les pays consommateurs ?
Les consommations des produits des hydrocarbures augmentent chaque année d’environ 02 millions bpj. Associées aux diminutions de production en cours d’implémentation par les grands producteurs, on va manquer à minima 1,8 millions bpj, soit 2% de la consommation journalière mondiale. Ici, on aura (1) une pression à la hausse des prix, (2) une pression à la baisse des stocks (à regarder attentivement), (3) les réserves stratégiques à travers le monde sont passées de 04 milliards de baril en 2020 à 3.3 milliards en 2023. C’est énorme. Les répercussions sur le marché international et les pays consommateurs seront une spirale inflationniste.
Ces pays voudraient-ils revoir leur production à la baisse volontairement ou ce sont les puits de pétrole qui sont en train de baisser ?
Tous ces pays disent que c’est une initiative volontaire comme précaution visant à soutenir la stabilité du marché des hydrocarbures. Menons un raisonnement ensemble avec vos illustres lecteurs. Les stocks des réserves au plus bas, une augmentation de la consommation mondiale et les pays producteurs qui refusent d’augmenter la production, mais bien plus la revoit à la baisse sont un dilemme. Les investissements sur la production du pétrole en amont (Up Stream) entre 2011 – 2013 étaient sensiblement US$780 milliards dans le monde. Entre 2016 et 2020, on est passé sensiblement à US$400 milliards d’investissement dans le monde en amont. Effectivement, le rendement du puits du pétrole baisse avec le temps et d’ailleurs, il existe six classifications principales dans le cycle de vie d’un puits de pétrole. Un puits peut être actif, inactif, suspendu, abandonné, orphelin ou récupéré. Le cycle de vie de tout puits commence par une classification active et se termine après la remise en état. Le cycle de vie varie en moyenne entre 15 et 25 ans. Je ne pense pas que tous ces puits arrivent à la dernière phase de leur vie. Je le soulignais au Forum économique de Douala de 2022 que par rapport aux études réalisées en 2020, les réserves mondiales prouvées de pétrole atteignaient 244,4 milliards de tonnes. Ce qui était en procession de 5,8% par rapport à 2010 et de 33,2% par rapport à 2000. Si on produisait 4,16 milliards de tonnes comme en 2020, il nous resterait aujourd’hui 51 années de production au rythme de 2020. Je viens de donner ces détails pour dire que le problème aujourd’hui n’est pas le réservoir, mais le robinet.
Ne faut-il pas craindre des pénuries au Cameroun, quand on sait l’importance des pétroliers sur son économie ?
Je suis certain que les administrations et structures en charge de la question du Updstream au Downstream passant par le Midstream sauront prendre la mesure de la chose et prévenir toute rareté des produits des hydrocarbures. Mais, il ne faut pas être naïf, si rien n’a été fait, si rien n’est fait, alors il faut sérieusement réfléchir sur une possible rareté, voire pénurie.
Qu’est-ce que le gouvernement Camerounais doit commencer à faire pour justement faire face à cette situation qui s’annonce difficile ?
Je l’ai déjà dit et je vais le redire : (1) transformation local du pétrole camerounais sur le territoire camerounais ; et pour cela, (2) construction d’une seconde raffinerie et (3) réhabilitation/restructuration de la Sonara (4), constructions des pipelines internes, voire sous régionales.
Le Cameroun étant producteur, bien qu’il ne transforme pas son pétrole, peut-il tirer profit de cette situation ?
Possible ! Mais difficile de me prononcer sur la base des détails à ma disposition…
Charmant Ossian, vous parliez de géostratégique et géopolitique mondiale. Pouvez-vous vous y appesantir pour une meilleure compréhension de nos lecteurs ?
J’ai évoqué cela pour être complet dans mon analyse et à l’occasion, donner des petits biscuits à mon compatriote Banda Kani, qui est mieux outillé sur la géostratégie/géopolitique mondiale. Sur ce pan, on peut penser à six autres choses : (1) le conflit russo-ukrainien, (2) ces pays qui manifesteraient leur volonté d’aider la Russie, (3) ces pays qui manifesteraient aussi leur volonté d’utiliser une autre devise que le dollar américain pour les transactions commerciales des produits des hydrocarbures, (4) les Brics qui viennent de mettre en place une banque mondiale de développement : New Development Bank, qui devient une sorte d’alternative aux grandes institutions Fmi/Banque mondiale basées à Washington ; la New Development Bank qui a 100 milliards de dollars de capital et 100 milliards de réserves de devises ; les Brics qui représentent 41% de la population mondiale, 25% des richesses produites chaque année ; (5) l’élection présidentielle qui aura lieu en 2024 aux Usa ; (6) une possible perte considérable du contrôle de l’Afrique et de ses ressources qui nécessitent de mener un questionnement approfondi par rapport à ce qui se passe aujourd’hui et qui marquera l’histoire.
Est-ce que les entreprises camerounaises du secteur des hydrocarbures peuvent vous contacter pour des consultations ? Si oui, pourriez-vous mettre à leur disposition vos contacts ?
Tous les experts du secteur pétrolier vous diront que ces réductions changeront les mécanismes du marché et soutiendront les prix au-delà de leur niveau actuel et provoquera une spirale inflationniste si rien n’est fait (…). Les administrations et entreprises camerounaises et ceux de la sous-région regorgent certainement dans leurs équipes des experts et personnes aguerries. Si d’aventure ces administrations et structures sollicitent des échanges d’expertises, mon contact est ouvert, je serai honoré d’associer mes connaissances à leurs analyses et/ou confronter nos analyses. Elles peuvent effectivement me contacter sous le couvert du quotidien « Le Messager ».
Charmant Ossian, expert international en pétrole et gaz, Merci. Nous reviendrons parler du rôle de la diaspora dans le développement du Cameroun.
C’est est un rendez-vous. Et je vous remercie Blanchard Bihel, pour cette marque de confiance envers les Camerounais de l’étranger en générale et particulièrement en ma modeste personne.
Source : « Le Messager »