Elle porte sur l’audit du fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le Coronavirus et ses répercussions économiques et sociales au Cameroun.
La Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun, en charge de l’audit du fonds spécial de solidarité nationale, pour la lutte contre le Covid-19 et ses répercussions économiques et sociales au pays, observe la faible qualité de l’information comptable et de l’information statistique, obstacle majeur au pilotage de l’action publique et à son évaluation. Tout comme la fiabilité de l’information comptable : la Chambre souligne que les documents comptables bruts, qui lui ont fourni les comptables publics, sont le plus souvent entachés de graves erreurs ou approximatifs et les documents comptables émanant de plusieurs sources officielles sont souvent contradictoires.
La Chambre observe que 159,9 milliards Fcfa et 85,5 % du total des recettes du fonds spécial a été constitué par les versements du budget général qui n’ont quasiment pas transité par le compte du Trésor dédié au fonds spécial. La Chambre est parvenue à reconstituer les comptes 2020 du Fonds spécial de solidarité nationale, avec un degré de fiabilité qui lui parait acceptable, à 186,8 milliards Fcfa en recettes et 167,7 milliards Fcfa en dépenses.
En outre, la Chambre observe que le ministère de la Santé publique (Minsanté) a passé 04 marchés de médicaments, pour un montant de 536,44 millions Fcfa, mais n’a pas été en mesure d’indiquer où ils avaient été stockés, et quel avait été leur usage. Ils n’ont pas fait l’objet d’enregistrement en comptabilité matière, de sorte que la Chambre des comptes estime que le risque de détournement est très élevé.
La Chambre des comptes a au surplus constaté la gestion erratique des stocks d’hydroxychloroquine et d’azythromicine achetés dans des conditions critiquables par l’Institut de Recherche et d’Etudes des Plantes médicinales (Impm) dont le Directeur général laissait croire qu’il était en mesure de les fabriquer localement. En tout état de cause, lesdits médicaments sont restés stockés dans les locaux de l’Impm au 31 décembre 2020 sans être distribués. Si les centres de prise en charge ont été approvisionnés en 2020 pour ces 02 médicaments, c’est principalement à partir de dons.
La Chambre des comptes de la Cour suprême a audité le « fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le Coronavirus et ses répercussions économique et sociale » créé par l’ordonnance du Président de la république du 03 juin 2020 et doté de 180 milliards Fcfa, repartis en 04 programmes pilotés par 24 départements ministériels.
La gestion des fonds a privilégié l’opacité : à l’exception du Minsanté, les départements ministériels n’ont pas produits au Minfi les rapports trimestriels attendus, et à la Caisse autonome d’amortissement n’a pas produit au ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire et au ministère des Finances les rapports mensuels sur la situation des décaissements effectifs des projets sur financement extérieur.
La mise en service du centre Orca a cependant permis d’améliorer sensiblement la réponse à la pandémie dans la région du Centre à partir de la mi-juin.
Les unités d’isolement et les centres de prise en charge construits dans 04 stades pour un total de 841,2 millions Fcfa n’ont finalement accueilli aucun patient atteint du Covid-19 avant leur démantèlement décidé par note du 07 octobre 2020 du Secrétaire général de la Présidence de la république, en vue de la prise en main des infrastructures par la Confédération africaine de football (Caf). Ce démantèlement précoce était lié à l’impératif de redonner leur vocation sportive aux stades prévus pour accueillir le Championnat d’Afrique des Nations (Chan) en janvier 2021.
Les engagements des dépenses du Minsanté se sont faits sans connaissance des lignes budgétaires du Comte d’affectation spéciale. La Chambre souligne que notamment l’importance des engagements de dépenses relatives aux tests de dépistage (25,7 milliards Fcfa en 2020), aux équipements de protection individuelle (26,78 milliards Fcfa) et aux équipements médicaux (11,77 milliards Fcfa).
Le marchés spéciaux n’étant pas soumis au Code des marchés publics, le Minsanté a opté pour la création d’un groupe de travail interne chargé de donner un avis technique sur l’attribution des marchés.
Parmi eux, quatre sociétés, Funding Transfert And Services Group S.a, Proof Consulting Group Sarl, Technologie Médicale du Cameroun Sarl et New Pharma Sarl se sont immatriculées au resgistre du commerce et du crédit mobilier (Rccm) en juillet et août 2020. Elles ont été attributaires de marchés pour un total de 2,068 milliards Fcfa quelques jours seulement après leur immatriculation.
Orca, bâtiment à usage commercial, a fait l’objet d’une mise à disposition par son propriétaire par une simple lettre en date du 30 avril 2020, et a été aménagé en clinique par le Minsanté, pour un coût de 1,041 milliards Fcfa. La Chambre observe que cette situation est porteuse de risques élevés pour l’administration, qui n’a pas pris soin de rédiger une convention de mise à disposition.
Compte tenu de l’importance de cette clinique dans le dispositif de traitement des patients et des coûts d’aménagement consentis, la Chambre des comptes estime qu’une restitution en l’état n’est pas souhaitable. Elle recommande dès lors de négocier une convention avec le propriétaire prévoyant une juste indemnisation et le rachat du bâtiment.
Deux marchés spéciaux, conclus pour les travaux de restitution et l’aménagement et l’ameublement de ce centre spécial de prise en charge pour un total de 631,6 millions Fcfa ont été attribués à la Sarl Bf Rest, dont le Directeur général est également Directeur général de la société Orca, appartenant au groupe Prométal.
En l’absence de loyer pour la mise à disposition du bâtiment Orca, l’attribution de ces deux marchés spéciaux à une société liée au groupe Prométal, non soumise aux procédures de mise en concurrence du Code des marchés publics apparaît comme une contrepartie déguisée.
Les marchés concernant Yaoundé ont été attribués à hauteur de 157 millions Fcfa dont a bénéficié la ville de Yaoundé, et les 49,5 millions sans mise en concurrence aux Ets African Distribution Company, société créée le 14 février 2020 et sans expérience des métiers de l’hygiène et de l’assainissement. Ce choix, qui semble peu pertinent, notamment en raison de l’inexpérience des personnels.
La Chambre des comptes observe un fort déséquilibre entre les 157 millions Fcfa dont a bénéficié la ville de Yaoundé, et les 49,5 millions Fcfa octroyés au reste du territoire national, sans que cet écart soit justifié par des critères objectifs, alors que les résultats de cette activité sont difficiles à évaluer, parce que les chiffres bruts produits sur le nombre de lieux désinfectés ne sont pas mis en relation avec les besoins à couvrir.
Si la commande de l’Impm portait sur des comprimés en vrac, la Chambre a pu établir que ces médicaments ont été livrés déjà conditionnés. L’Impm a décidé de reconditionner ces médicaments dans ces nouveaux emballages, pour un montant de 9,356 millions Fcfa. La Chambre souligne que ce reconditionnement local ne pouvait avoir d’autre objectif que de faire croire à une fabrication locale. Elle estime qu’une telle activité n’a pas pu être menée à une telle échelle sans que le Minresi n’ait été au courant.
Au 31 décembre 2020, les 05 millions de comprimés d’hydroxychloroquine, les 500.000 comprimés d’azithromycine et les intrants d’azithromycine (12 futs de 25 Kg chacun) restaient stockés à l’Impm, sans aucun usage. La Chambre ne recommande pas toutefois la distribution d’hydroxychloroquine dans les hôpitaux, puisque l’avis du Conseil scientifique en date du 08 avril 2021 en déconseille désormais l’utilisation, mais seulement la distribution d’azithromycine.
16 ambulances payées à un prix deux fois supérieur au prix du concessionnaire et non livrées au 31 décembre 2020.
La Chambre observe que le prix facturé au Minsanté est de 55.000.000 Fcfa par ambulance, soit plus du double du prix en vigueur chez un autre concessionnaire de Yaoundé.
En conclusion, la Chambre des comptes formule 30 recommandations. Conformément à la loi, elle a également décidé d’ouvrir 14 procédures pour faute de gestion ainsi que 01 procédure pour gestion de fait, et de transmettre au Ministre de la Justice 12 dossiers susceptibles de revêtir une qualification pénale.
Bertrand TJANI