Dieudonné Essomba revient sur le fait que des gens se plaignent de ce que la région du Sud Cameroun a obtenu la plus grande part du budget, en opposition avec les autres régions plus peuplées du pays.
« Evidemment que ces plaintes participent d’une lutte contre le régime de Biya, accusé de favoritisme au profit de sa région », a indiqué l’économiste. « Nous retrouvons ici un phénomène que j’avais dénoncé quand j’étais en activité au Minepat (ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire : Ndlr) », a rappelé Dieudonné Essomba, avant de relever que « ce n’est pas de cette manière qu’on présente un budget d’investissement par région. Dans la présentation territoriale d’un budget d’investissement, on distingue 2 groupes de projets : les projets qui ont une vocation locale, comme l’électrification rurale, la construction d’une route rurale, la construction des hôpitaux, etc. Ce sont les projets qui, en principe, font partie des prérogatives des régions et des communes. On ne les mesure pas par leur montant, mais sur leur impact en termes d’indicateurs d’accessibilité ». Aussi, a-t-il cité la distance moyenne d’un village par rapport une route bitumée, le nombre de villages électrifiés, la distance moyenne par rapport à un centre de santé…
Projets à vocation stratégique
Selon l’économiste, ce sont des projets qui ne se trouvent dans une région que par le fait des dotations factorielles et de leur nature. De tels projets visent à résoudre un problème macroéconomique ou macro politique dont le bénéfice ne peut spécifiquement être imputé à une région. Par exemple l’immeuble du Sénat à Yaoundé peut être comptabilisé comme un investissement au profit des populations du Centre ; le port de Kribi ne peut pas être considéré comme un investissement du Sud, car sa construction est directement liée à l’existence préalable d’un site favorable et sa vocation est de desservir tout l’hinterland, y compris le Tchad et la Centrafrique ; les barrages hydroélectriques qu’on construit au Sud ne peuvent pas être considérés comme des investissements du Sud, car leur vocation est la production d’une électricité qui peut d’ailleurs desservir Yaoundé et Douala, ou bien l’Ouest, alors qu’aucun village du Sud n’est électrifié.
De tels projets, à son avis, sont présentés davantage suivant leur impact sur les variables macroéconomiques. Par exemple, le nombre de kilowatt additionnels. « Nous sommes malheureusement dans un pays de bureaucrates amateurs pour qui l’investissement public se réduit à la dépenses, et qui n’ont aucun sens du rôle de l’investissement. Comment peut-on, dans un budget, placer côte à côte, un approvisionnement de table-bancs de 400.000 Fcfa à côté d’un barrage de 400 milliards ? L’un des projets représente 1 million de fois l’autre, et ils ne peuvent pas obéir aux mêmes modalités de gestion. On ne peut donc pas les mettre dans le même panier. En définitive, le journal des projets aurait dû se présenter en 2 sections, la première consacrée aux projets dont la vocation est nationale et qui resteront à l’Etat central, et la seconde aux projets dont la vocation est régionale et qui, à terme, seront transférés aux régions », pense-t-il.
« Cela aurait permis une lecture plus saine de l’investissement public. On remarquerait alors que ce sont les régions du Grand nord et particulièrement, l’Extrême-nord qui bénéficient des plus gros transferts en termes de projets de proximité. Ces transferts sont d’autant plus amplifiés que ces régions bénéficient également des apports des Ong », explique l’expert. « Ensuite viennent le Nord-ouest et l’Ouest. Assez paradoxalement, les régions du Centre, du Littoral du Sud-ouest, de l’Est et du Sud sont les moins pourvues en ces projets, simplement parce que c’est elles qui abritent les grands projets nationaux, ce qui crée un effet de parallaxe et l’illusion qu’elles sont privilégiées, alors que c’est l’inverse », a-t-il regretté Dieudonné Essomba.
Bertrand TJANI