Dionzou, village du département du Ndé, arrondissement de Bazou, région de l’Ouest Cameroun, est chargé d’histoire. Semé de belles pierres, fait de jolis paysages qui ne manquent pas de charme, parsemé de montagnes rieuses et de forêts séculaires, arrosé d’un froid matinal titilleur, couvert parfois d’un brouillard provocateur, ce village est une terre d’aubaine. Et la simple idée d’y passer quelques jours de vacances n’est pas déplaisante. Présenté de cette façon, Dionzou a plutôt l’air joli. Mais, derrière ce tableau idyllique se cache une multi-catastrophe.
Ce village qui n’a jamais vu ses maisons dynamitées pour la construction des gros ouvrages (ponts, barrages, électrification) est une ruine. Délaissé, en friches, nulle épidémie ou enlèvement mystérieux n’est en cause. Une étude d’impact indique que ce village fort joli, illustre à merveille le syndrome de l’insouciance des aînés, et de la désertion des campagnes par les jeunes générations. Ces dernières préférant déménager dans les grandes agglomérations ou ailleurs en Afrique et en occident.
S’il est vrai que la plupart des concessions désertées ont encore des propriétaires, en l’occurrence les successeurs qui ont toujours vécu au village, le mouvement migratoire a aussi touché ce clan. Ainsi, certains héritiers sont revenus au village après leur intronisation. Les plus récalcitrants en revanche, attendent que la manne de leurs ancêtres s’abatte douloureusement sur eux pour qu’ils retrouvent leur siège successoral au village.
Ces ‘’gardiens’ des us et coutumes loin de l’antre familial assassinent Dionzou sur le plan spirituel et cultuel. ‘’Les lieux sacrés’’ sont abandonnés. Les ‘’cases de crânes’’ perdues dans de hautes herbes. Cette rupture implicite ou explicite du cordon qui les lie à leurs aïeuls, est accentuée par l’in-inquiétude de ceux que les Camerounais nomment abusivement ‘’élites’’. Ces êtres qui se contentent de leur petit confort désuet, périssable, et mènent une vie de ‘’feu de paille’’.
Ecole fantôme
L’insouciance et les promesses non-tenues de ces ‘’élites’’ ne sont pas sans conséquences. Elles ont plongé la ‘’notabilité’’ dans le coma de l’inaction. L’école du village en pâtie. Cette institution qui jadis était une référence, recevait les enfants des contrées voisines et même de Bazou et des grandes métropoles, est abandonnée. Elle semble être habitée par des âmes terrifiantes. Les enfants ne s’y retrouvent pas après l’école (ou les jours fermés aux élèves) pour des jeux. Ce triste lieu ferait aussi peur aux animaux en divagation-pas une volaille, ni un cabri, ne s’y aventure.
Ce sanctuaire de la peur de six classes est fréquenté par 23 élèves. La Section d’Initiation à la Lecture (SIL) compte 9 élèves (5 garçons et 4 filles). Le Cours Préparatoire (CP) a 5 élèves (2 garçons et 3 filles). Le Cours Moyen 1ère année a un effectif de 2 élèves (1 garçon et 1 fille) et le Cours Moyen 2e année comprend 5 élèves (2 garçons et 3 filles). Ces enfants partagent leur journée de cours avec des tables-bancs entreposés au fond de la salle. Les classes intermédiaires sans élèves servent de réserves de bois de chauffe.
L’ensemble de l’école a le toit en passoire. Le plafond en pièces détachées. Les murs en partie effondrés. Ceux qui n’ont jamais vu un champ de cratères, peuvent visiter la cour de récréation de cette école-champ-de-ruine, pour s’en faire une idée. L’école de Dionzou n’est ni plus ni moins qu’un piège géant pour ceux qui s’y risquent.
Dispensaire ‘’quasi-inexistant’’
Outre l’école abandonnée, le dispensaire de Dionzou se résume en un bureau obscur faisant office de salle de consultation, et d’une pharmacie réduite en un vieux frigo non-fonctionnel contenant quelques boites de médicaments. Sans investigation, il n’est pas possible d’affirmer si ces produits sont périmés ou à date. En revanche, rien n’interdit d’affirmer que les salles autrefois réservées à l’hospitalisation homme/femme, à l’accouchement, à la maternité, sont reconvertis en lieux de défection pour les ‘’fous’’. Seuls quelques écriteaux sur les portes pour rappeler ce à quoi elles ont servi dans le passé. Les lits métalliques qui donnaient un visage de centre hospitalier à ce dispensaire, sont devenus de vieux tas de ferraille. Les matelas, un amas de vieilles éponges fripées.
Le silence qui arrose ce site a fait dire à un visiteur, ‘’qu’il n’y avait pas de malades dans ce village’’. Cette façon anecdotique de décrire ce lieu, pointait du doigt la ‘quasi-inexistence’ d’un centre de santé dans ce village.
Bonne âme
Cependant, une femme-généreuse se plie en quatre pour donner un souffle de vie à ce dispensaire à l’agonie, et se casse en mille morceaux pour prendre soin des malades-aussi bien au dispensaire qu’à son domicile. Ceci, peu importe l’heure. Prudence Youmi est cette bonne âme. Epouse et mère, elle a mis en avant sa fibre maternelle et humaniste pour se constituer en infirmière-volontaire-sans rémunération comme les institutrices-volontaires de l’école de Dionzou.
Route de l’enfer
Depuis la Mairie de Bazou, le trajet compte environ 8 km pour joindre Dionzou. La route est goudronnée avec des nids de poule, sur un peu plus d’un kilomètre. Les récentes vues capturées par ‘’Google Street View’’ montrent deux tronçons de cette route pavés de pierres. D’une mauvaise expertise et technicité, les pierres cèdent à l’emprise du béton très mal dosé. Elles quittent la voie et se placent en obstacle pour tout usager imprudent. Un peu plus loin, un troisième pavement en chantier sans que les dangers des tronçons précédents soient corrigés vient d’être terminé.
Le revêtement en latérite d’une partie de ce trajet est en cours. Bonne intention-mais les voies de dégagement des eaux de pluie ne sont pas prises en compte. Par conséquent, cet ouvrage ne tiendra que le temps d’une saison. Pourtant, Dionzou a enfanté aussi des ingénieurs en génie civil, des entrepreneurs en BTP, et a des amis dans ce domaine, qui pourraient avec/ou sans la ‘’Députation générale de Bazou’’ réaliser une étude sérieuse avant de se lancer à la conquête du financement. En attendant un rêve possible, aller à Dionzou, quel que soit le point de départ, c’est gravir les collines. Patiner en saison de pluie. ‘’Boire’’ de la poussière en saison sèche.
Chefferie dans les buissons
Sillonner l’Ouest du Cameroun, c’est être ébloui par la beauté des chefferies. A l’autre bout de ce charme se dresse la vulgaire chefferie Dionzou. Un contraste qui ajoute à la décrépitude de ce village. Une chefferie qui n’a rien d’attrayant. Aucun soupçon de notabilité. Aucun symbole du cultuel ou du spirituel. Une chefferie dans les buissons. Pourtant, certains villages, même abandonnés sont sous le feu des projecteurs grâce à des symboles-comme les chefferies, les lieux de culte, les vieilles bâtisses historiques et autres, qui captivent les étrangers d’une part. Et ramènent d’autre part, sur le terroir les ‘’descendants-égarés’’ ou ‘’corrompus’’ par les délices éphémères d’un autre monde.
Orpheline du manque d’initiative de sa communauté, et sûrement du manque de vision de la notabilité, la chefferie Dionzou a perdu de sa superbe. Elle n’a ni conteurs pour égailler les enfants, ni une référence humaine pour retracer à ses descendants et aux étrangers les faits historiques sur lesquels ce village est né, construit, et a vécu dans le temps. Personne pour dresser la dynastie Dionzou. Personne pour parler de la ‘’pierre parlante’’. De son mystère. De ses prouesses. Et pourquoi elle a cessé de parler. Personne pour révéler les plaisants secrets que recèle ce village.
Patriotisme venu d’ailleurs
En provenance de l’Adamaoua (Ngaoundéré) pour Dionzou, Hadja Ousmanou Laoubaou, ‘’spécialiste développement communication’’, au PCP/ACEFA a pris plus d’une heure pour replacer sur le premier tronçon pavé, les pierres qui jalonnaient la route. Pendant ce travail, les mototaxis, les piétons, les véhicules circulaient sans prêter attention à elle. Pour ces inciviques, Hadja Ousmanou devrait être une extra-terrestre ou une folle qui ne savait pas quoi faire de son temps.
Restauration de Dionzou
Les Badionzou devraient suivre cette démarche patriotique et nationaliste venue du Grand Nord. Car, bien que certains vestiges aient disparu ou ont été recouverts par une nature envahissante, ce village continue d’arborer son paysage qui révèle des panoramas fantastiques et, reste un spectacle à ne pas manquer-une belle destination de randonnée et des vacances pour se ressourcer et introduire les enfants au terroir de leurs ancêtres. Une manière de les connecter/reconnecter avec leurs racines. Une astuce simple mais significative pour mener à bien la lutte pour la restauration de Dionzou qui semble condamné à la disparition.
Le dire ainsi, paraît exagérer pour ceux qui ont un horizon limité de la chose anthropologique et spirituelle. Surtout pour les ‘’élites’’ de Dionzou qui ne se rendent paradoxalement pas compte que la dépopulation cause à ce village des problèmes tant politiques, économiques, que sociaux.
Si rien n’est fait dans ce sens, Dionzou va réussir à revivre pendant quelques années ou quelques décennies, avant de sombrer dans l’abandon total. Les quelques pans de murs partiellement effondrés en guise de témoignage architectural, crouleront jusqu’à leur fondation.
Récupération du village
Afin d’éviter une telle catastrophe, les Badionzou et villages environnants devraient mener des études, et commencer à accepter diverses propositions pour faire revivre ce village abandonné qui ne retrouve sa gaieté que dans les larmes, les pleurs, la douleur et la peine, de ceux qui y vont les weekends pour des cérémonies funéraires.
Pour y parvenir, cette communauté devrait prendre ses décisions en assemblée, organiser des séances de travaux collectifs afin de faire réparer et redémarrer certaines installations en panne comme le poste Camwater, qui peut servir à fournir non seulement de l’eau potable, mais également l’électricité. Cette démarche est importante pour ne pas toujours attendre de profiter des enveloppes gouvernementales destinées à la modernisation du monde rural. Mettre en route un tel plan pour la réalisation de projets simples mais sérieux, nécessite que les organisations villageoises se mettent ensemble-formule de développement d’une société villageoise qui veut se défaire de la dépendance parfois inutile des institutions étatiques, ou contraignante des ONGs.
Dionzou peut encore redevenir ce village qui chantait au rythme des grillons, de cris des enfants, des scènes de joie de jeunes gens, des caquètements des poules, des chants d’oiseaux et de coqs, et d’autre cris d’animaux sauvages. Tout ceci soutenu par le son sourd des pilons des femmes joyeuses dans les mortiers, leurs interpellations au bord des rivières, ou dans les champs.
Feumba SAMEN