
Cotonou, le 17 mai 2025.
« Nous, Réseau des Leaders Africains pour la Démocratie, l’Émergence et le Renouveau (Réseau-LEADER), lançons à Cotonou à l’occasion de l’atelier de sensibilisation sur le thème « Jeunesse africaine et migration : entre espoirs et nouvelles formes de risques », un cri d’alerte à l’échelle continentale. Ce que nous avons entendu, analysé et documenté ici ne relève ni de l’exception ni de l’anecdote. Il s’agit d’un système profondément enraciné de manipulation, d’exploitation et de marchandisation de la jeunesse africaine, désormais orchestré à l’échelle internationale.
Un espoir dévoyé, une jeunesse piégée
Des centaines de jeunes Africains, séduits par des promesses de bourses, de formations ou d’emplois à l’étranger, tombent chaque année dans des dispositifs dissimulant des formes modernes de servitude. Le cas emblématique de « Alabuga Start », mis en lumière par plusieurs enquêtes de médias russes, africains et internationaux, en est une illustration glaçante.

Sous prétexte de formation technologique, de jeunes femmes originaires d’Afrique de l’Ouest et centrale sont envoyées dans la zone industrielle spéciale d’Alabuga, en République du Tatarstan (Russie), pour participer à l’assemblage de drones militaires destinés à la guerre en Ukraine. Ces jeunes, souvent recrutées via des « programmes de coopération » ou des « bourses techniques », se retrouvent confinées dans des dortoirs surveillés, soumises à une discipline militaire, et exposées à un encadrement autoritaire sans recours. Privées de passeport, isolées, elles sont conditionnées à une idéologie guerrière dans un contexte qu’elles ne comprennent pas, et pour des intérêts qui ne sont pas les leurs.
Plusieurs enquêtes, notamment celles de Meduza, du Moscow Times, de BBC Afrique et de Radio Free Europe, ont révélé la présence de jeunes Nigériennes, Camerounaises, Maliennes et Burkinabè dans ces installations. Des vidéos de propagande publiées par les autorités d’Alabuga montrent des jeunes femmes africaines en uniforme, entonnant des chants militaires, conditionnées à travailler dans la production de drones Lancet et ZALA, sans aucune perspective académique ou professionnelle réelle.
Mais ce n’est pas un cas isolé. À Dubaï, au Koweït, à Riyad ou encore au Kazakhstan, d’autres jeunes Africains et Africaines, attirés par des offres « d’alternance », « d’assistanat », « d’accueil en entreprise », se retrouvent en situation de travail forcé, de violences sexuelles, de confiscation de documents d’identité, voire de privation de liberté. Ces réalités ne sont plus exceptionnelles : elles sont devenues la norme invisible d’un système mondialisé de traite humaine, dissimulé sous les atours de la coopération internationale.
Des complicités masquées, un silence coupable
Ces pratiques prospèrent sur les failles de nos systèmes de gouvernance : manque de contrôle, absence d’enquêtes sérieuses, silence diplomatique, et parfois même collusion de certaines représentations consulaires. Des agences de recrutement opèrent en toute légalité dans plusieurs capitales africaines, malgré les alertes récurrentes. Le programme « Alabuga Start », sous enquête d’Interpol depuis 2024, illustre à quel point des structures prétendument légitimes peuvent devenir les vecteurs d’une exploitation systémique de notre jeunesse.
Face à cela, notre responsabilité collective est désormais engagée. Nous, signataires de cette déclaration, lançons un appel solennel et sans équivoque.
Aux Chefs d’État africains :
Sortez du mutisme diplomatique.
Mettez fin aux accords opaques avec des organismes de placement douteux.
Diligentez des audits nationaux sur les programmes de bourses internationales, notamment ceux à destination de la Russie et du Moyen-Orient.
Renforcez les services consulaires, les mécanismes d’assistance juridique et les dispositifs d’écoute pour les jeunes en mobilité.
Aux médias africains :
Brisez le mur du silence et traitez ces sujets comme des priorités nationales.
Donnez la parole aux survivants et enquêtez sur les structures de recrutement complices.
Constituez des réseaux d’investigation transnationaux pour démanteler ces filières.
Aux organisations de la société civile et aux voix influentes du continent :
Redoublez d’efforts d’éducation populaire et de sensibilisation communautaire.
Organisez des campagnes d’alerte ciblées, notamment dans les écoles, les centres de formation, les églises et les mosquées.
Interpellez les gouvernements, les agences, et les institutions complices ou passives.
Nous réaffirmons avec force : aucune souveraineté africaine ne peut exister si sa jeunesse est livrée au marché mondial comme matière première humaine. Le continent qui laisse partir ses enfants sans encadrement, sans protection et sans vérité, abdique son avenir.
Aujourd’hui, ici à Cotonou, nous affirmons que le combat contre les migrations piégées n’est pas une option humanitaire : c’est un impératif politique, éthique et civilisationnel.
Nous repartons plus conscients, plus indignés, mais surtout plus déterminés à agir. Car tant qu’un seul visa mensonger conduira un jeune Africain vers l’asservissement, c’est toute notre humanité qui vacille.
Ce combat est désormais le nôtre. Collectivement. Radicalement. Inlassablement ».
Publiée par Bertrand TJANI (Cameroun)