80 ans depuis la terrible année 1940 qui vit son ascension, 50 ans après sa mort, 130 ans après sa naissance, l’année 2020 est célébrée en France et ailleurs comme l’année de Gaulle, un homme exceptionnel s’il en fut.
Le 18 juin 1940 lorsque Charles de Gaulle se proclame Chef de la France libre sur l’antenne de la BBC la radio publique britannique, le jeune général s’investit d’une mission épique. Mais comme Moïse ? ou plus proche, Jeanne d’Arc ? Pour sa part, au début du xve siècle, cette jeune fille de dix-sept ans d’origine paysanne affirme qu’elle a reçu de la part des saints Michel, Marguerite d’Antioche et Catherine d’Alexandrie la mission de délivrer la France de l’occupation ennemie. Moïse avait commencé sa mission après avoir vécu l’épisode du buisson ardent ; Saul est devenu Saint Paul sur le chemin de Damas. Mais quel est donc le signe divin qui a conféré à Charles de Gaulle le rôle qu’il prétend jouer? D’abord même comment de Gaulle a-t-il fait pour atterrir à Londres, est-ce de son propre chef ou autre ? Moïse avait le bâton magique, pour le moins ; pour sa part de Gaulle ne dispose que de cent mille franc-or et n’a pas de soldats sous son commandement, il compte sur quoi et sur qui ? Autant de mystères autour de ce personnage prodigieux que nous voulons élucider ici.
Winston Churchill, ou l’Homme avant de Gaulle
Bon nombre de personnalités politiques et militaires en France ont réagi à l’Appel du 18 juin 1940 par des railleries du genre « ce de Gaulle est le bébé kangourou de Churchill ….. Il a pris le Parti de l’Etranger». Pourquoi inféoder de Gaulle à Churchill ?
Winston Churchill est un puissant membre du parti conservateur britannique, ministre dans différents cabinets britanniques avant et après la première guerre mondiale. Winston Churchill a en particulier exercé des fonctions liées à la Guerre et aux Colonies entre 1914 et 1922, époque où la marine britannique émerge comme la plus puissante du monde et sillonne le globe pour sécuriser les territoires de l’Empire britannique ; ministre des finances de 1924 à 1929. Churchill est donc un homme de guerre, de par son tempérament et ses fonctions ministérielles. Churchill est attaché aux joyaux de la Couronne britannique : son grand-père lui-même fut ministre des colonies et avant ça gouverneur des Indes, où le petit Winston a goûté aux délices de la colonisation. Churchill également connu comme un impérialiste invétéré car jeune militaire il a tenu à aller combattre en Afrique du sud durant la guerre des Boers et auparavant, à la recherche de l’aventure pure, Winston a participé comme volontaire à la guerre d’indépendance de Cuba où il a combattu dans les rangs de l’armée régulière espagnole, qui finit par perdre cette guerre suite à l’intervention des Etats-Unis dont la marine vient appuyer les indépendantistes cubains. Pour compléter le tableau de son tempérament impérialiste, Churchill intervient dans la crise irlandaise comme un dur. Irlande, Cuba, les Indes, Afrique du sud, voilà les déploiements successifs d’un dur, un impérialiste, amoureux de sa patrie, l’Angleterre.
Simple député de l’opposition après avril 1929, Churchill subit une longue traversée du désert durant les années 1930, période durant laquelle il se consacre à l’écriture et à la réflexion stratégique.
Churchill observe l’affaiblissement de la France depuis l’épisode du Front populaire ; ce dernier régime finit par céder le pouvoir à un gouvernement de droite présidé par Edouard Daladier. Concomitamment Churchill se concentre sur la montée du nazisme en Allemagne caractérisé par la persécution des juifs et le réarmement. Arrivé au pouvoir en 1933, Hitler a procédé à l’élargissement des infrastructures routières, ce qui est louable mais il a également renforcé l’industrie de guerre et décidé la remilitarisation de le Ruhr en violation des accords mettant fin à la première guerre mondiale ; donc ça sent la poudre en Europe et dans ce contexte se tient la rencontre de Munich du 29 au 30 septembre 1938 réunissant autour de Hitler les chefs de gouvernement de la France et de la Grande-Bretagne, respectivement Daladier et Neville Chamberlain ; Mussolini le premier ministre italien est présent et est allié de Hitler dans le fascisme ; Staline n’est pas invité. Soupçonné d’irrédentisme, Hitler s’est montré rassurant, il jure qu’il ne va pas déclencher la guerre et ses deux interlocuteurs ont cru ! Daladier et Neville Chamberlain accordent des concessions à l’irrédentisme allemand dans le cadre de ce qu’on va appeler l’Accord de Munich signé le 30 septembre 1938 ; ils rentrent chez eux sous les applaudissements de la foule.
Sauf que Winston Churchill trouve qu’Hitler n’est pas sincère, dénonce l’Accord de Munich et exige que l’Angleterre doit se préparer à la guerre et se battre dans l’honneur. Répliquant à Neville Chamberlain qui se vante d’avoir arraché une promesse de Paix à Hitler, Winston Churchill va prononcer une phrase qui est devenue célèbre dont la substance est « à Munich vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur; alors vous aurez les deux. La suite des événements donnera raison à Churchill.
Dès mars 1939 Hitler a ignoré ses engagements de Munich et réalisé l’invasion de la Tchécoslovaquie, puis la Pologne en septembre suivant ; donc on attend le tour de la France et de la Grande-Bretagne. La France est la moins préparée pour affronter l’armée allemande, cependant que la Grande-Bretagne dispose d’une forte aviation et d’une marine puissante. Pour sa part, le pays d’Hitler en 1940 jouit d’une supériorité aérienne écrasante et dispose d’une énorme quantité de chars et blindés, et un grand nombre de sous-marins ; le seul bémol est sa toute petite marine de surface.
Winston Churchill, franc-maçon avoué imprégné des idéaux de sa confrérie, se pose en défenseur du monde Libre et veut monter une coalition internationale contre le nazisme. Dans sa stratégie, il préconise d’inviter les dirigeants déchus légaux et légitimes des pays envahis par les Nazis à venir s’installer à Londres afin de poursuivre la guerre contre le fascisme. En précurseur de cette stratégie, le Négus a fui son Ethiopie natale envahie par l’Italie fasciste et après un vain plaidoyer à la SDN à Genève, a posé ses malles dans une résidence digne de son rang dans une banlieue de Londres en mai 1936.
En février 1940, pressentant la défaite de la France en cas d’invasion allemande, Churchill sans être au gouvernement dans son pays, a séjourné à Versailles en France avec pour objectif de « recruter » des membres du gouvernement légal français qui viendraient s’installer à Londres créer un gouvernement français en exil, à l’instar des gouvernements légaux et légitimes de la Tchécoslovaquie et de la Pologne exilés depuis l’invasion de ces deux pays en 1939. Churchill se concerte à Versailles avec Paul Reynaud, personnalité plusieurs fois ministre de la France.
Au printemps 1940 la Wehrmacht de Hitler déferle sur la Norvège, la Hollande et la Belgique. Les répercussions sont vues ailleurs aussi: en France Daladier démissionne le 20 mars 1940, discrédité d’avoir fait confiance aux promesses de Hitler à Munich ; dans la même veine le cabinet de Neville Chamberlain est en sursis à Londres. Le 10 mai 1940 l’Allemagne procède à l’invasion de la France. Immédiatement à Londres Churchill finit par ravir le poste de premier ministre à Neville Chamberlain et néanmoins appelle d’autres travaillistes pour constituer un cabinet de guerre sous l’union nationale.
Georges Mandel, ou l’Homme devant De Gaulle
Ministre des Colonies pendant deux ans, d’avril 1938 à mai 1940, Georges Mandel est obnubilé par la conservation de l’Empire colonial français en Afrique, aux Antilles, aux Indes et en Extrême-Orient jusqu’en Océanie ; il aurait visité Douala lors d’une tournée africaine. En tout cas Mandel est alarmé par la montée du sentiment germanophile au sein des populations camerounaises qui, curieusement, se réjouissent en apprenant les déboires de la France face aux coups de force d’Hitler.
En conséquence Georges Mandel s’investit pour créer des réseaux francophiles à Douala en premier lieu (c’est l’origine de la Jeucafraa). La tâche n’est pas facile car les ressortissants français eux-mêmes sont bien divisés quand la guerre éclate en Europe en septembre 1939 ; ne se faisant aucune illusion sur la capacité de l’armée française à défendre la métropole en cas d’attaque des Allemands, une bonne partie des colos français proposent de proclamer l’indépendance du Cameroun, pays sous mandat de la SDN moribonde, sachant que la minorité française va diriger ce nouveau pays sur le modèle de l’Apartheid d’Afrique du Sud ; une proposition en ce sens est même envoyée à Hitler pour coopérer avec lui s’il venait à vaincre la France. La perspective d’une défaite de la France hante le ministre Mandel et il s’inquiète de la perte des colonies, en cas en cas de guerre.
Du reste quoique ministre au sein du cabinet Daladier, Georges Mandel avait personnellement récusé l’Accord de Munich tout comme Paul Reynaud, autre membre du gouvernement Daladier. Tous deux font figure de « bellicistes » qui refusent toute concession à l’Allemagne nazie. Il y a de quoi, Georges Mandel son vrai nom de naissance est Louis Rothschild.
Paul Reynaud, ou l’Homme devant De Gaulle
Paul Reynaud, HEC, homme politique à positionnement centriste, hérite du poste de premier ministre français au lendemain du départ de Daladier. Il est évident pour tous que l’armée française est mal préparée à un conflit majeur contre l’armée allemande, le cas échéant, à l’exception toutefois de la marine française qui est encore deuxième ou troisième marine du monde. C’est justement la perspective d’une défaite de la France qui hante le premier ministre Reynaud et le pousse à prendre en considération les thèses du Colonel de Gaulle.
Paul Reynaud avait fait la connaissance de Charles De Gaulle en décembre 1934 après que ce dernier eut publié un opuscule intitulé «l’Avènement de la force mécanique ». Charles de Gaulle est officier d’Etat-major et porte le grade de colonel ; dans son ouvrage il cherche à convaincre que les guerres à venir seront déterminées par les chars et l’aviation mais il ne recueille que railleries du genre « cet officier qui gagne ses galons en écrivant des livres ».En décembre 1939 le colonel de Gaulle a adressé au Haut Commandement militaire et au Gouvernement un mémorandum qui demande à la haute hiérarchie de prendre ses thèses en considération. La France, souligne le colonel de Gaulle, aligne encore une artillerie mue par des chevaux. Des chevaux contre des canons; ce qui augure une issue fatale en cas de guerre contre l’Allemagne en raison des moyens mécaniques supérieurs dont Hitler a doté la Wehrmacht. Paul Reynaud est persuadé que le colonel de Gaulle qui a raison et la preuve en est administré le 10 mai 1940 lorsque les chars allemands effectuent la percée de Sedan dans les Ardennes et pénètrent la France par le nord-est.
Le même jour le gouvernement chute à Paris puis Paul Reynaud est encore appelé à former le nouveau gouvernement du 18 mai 1940 cette fois-ci Georges Mandel est promu ministre de l’Intérieur, tandis que le maréchal Pétain, le héros de la premier guerre, est nommé vice-premier. Un régiment de chars est alors constitué en toute hâte et confié au colonel de Gaulle ; ce dernier engage la colonne de blindés allemands mais ne peut que retarder de quelques jours leur avancée vers Paris.
Au vu de l’avancée de l’armée allemande, le gouvernement français dès le 30 mai et jusqu’au 18 juin va réaliser l’évacuation de l’or de la Banque de France vers quelques soutes sécurisées en outre-mer.
Le 6 juin 1940 Charles de Gaulle sera promu général à titre temporaire et propulsé sous-secrétaire d’Etat à la guerre ; il va officier comme adjoint du Maréchal Pétain, qui est également ministre de la Défense ; mais pas pour longtemps. Car les événements vont se précipiter. En effet l’échec sur les champs de bataille est avéré et le gouvernement va quitter Paris dès le 10 juin 1940 pour finalement poser ses malles à Vichy.
Les 11-12 juin se tient la conférence de Briare, en France, réunissant les principaux chefs politiques et militaires des gouvernements britannique et français. Il est envisagé, à Briare de concrétiser l’idée émise par Jean Monnet d’une sorte d’Union franco-britannique pour institutionnaliser la coalition contre les Allemands. En quittant Briare Churchill invite Paul Reynaud et Georges Mandel à rejoindre Londres pour former un gouvernement français « en exil ». Mais Mandel refuse car on le taxerait de « fuyard », dit-il.
Tôt le matin du 16 juin 1940 De Gaulle est envoyé en mission à Londres pour examiner avec Churchill les modalités juridiques et financières de cette Union franco-britannique puis il rentre en France le même jour pour rendre compte à Paul Reynaud. Ce dernier est déjà démissionnaire. Le 17 juin, Paul Reynaud remet un pécule de cent mille franc-or à de Gaulle et peut lui enjoindre de rejoindre Londres, d’une part. Paul Reynaud d’autre part, remet ses pouvoirs à son adjoint le maréchal Pétain ; ce dernier aussitôt à 12H30 déclare à la radio « il faut cesser le combat ». Pétain signera un acte d’Armistice en bonne et due forme le 22 juin ; l’armée française en métropole a capitulé, « pour éviter l’anéantissement » explique-t-on au peuple. Cette double-décision est propre à un centriste et c’est du génie politique.
Le 18 juin c’est l’Appel qui va le rendre célèbre puisque de Gaulle prend sur lui de récuser l’Armistice, et affirme pourvoir poursuivre la lutte au sein de la coalition des Alliés.
Le 21 juin 1940 Georges Mandel et d’autres personnalités embarquent pour le Maroc car ils estiment que la France peut continuer de lutter à partir d’une base arrière en Afrique du Nord ; tous seront arrêtés par les autorités coloniales loyales à Pétain. Livré aux Allemands, Georges Mandel sera assassiné en juillet 1944. Pour sa part Paul Reynaud s’est replié dans sa ville natale au sud de la France mais il sera arrêté par Pétain, livré aux Allemands et rejoindra Mandel dans une prison en Allemagne. Finalement libéré en 1945 après la défaite de l’armée allemande.
Roosevelt, l’homme malgré De Gaulle et Churchill
Deux ans après le début des opérations militaires d’Hitler en Europe, les Etats-Unis ne sont toujours pas engagés dans ce conflit lorsque le président américain Franklin Roosevelt et Winston Churchill se rencontrent sur un bateau dans l’Atlantique nord le 14 août 1941. C’est que Churchill sollicite l’aide militaire des Etats-Unis (tout comme de Gaulle qui a déjà été reçu à Washington pour la même requête), mais jusqu’à présent Roosevelt a fait la sourde, compte tenu de l’opinion publique américaine largement hostile à une implication de ce pays dans une guerre de suprématie en Europe. Du reste le mouvement isolationniste America First a pris de l’ampleur grâce à la mobilisation de célébrités comme Charles Lindbergh.
Cependant Churchill sait que Roosevelt fait semblant de faire la sourde oreille puisque l’industrie américaine a déjà commencé à produire des machines de guerre à un rythme soutenu. Roosevelt s’ouvre et pose les conditions à l’entrée en guerre des Etats-Unis au sein de la coalition alliée tant voulue par Churchill, de Gaulle et les autres chefs de gouvernement en exil à Londres. Parmi les points qui vont forger ce qui sera connu sous l’appellation Pacte de l’Atlantique ce qui nous intéresse est la clause qui prévoit le droit des peuples à l’autodétermination. Il convient de souligner ici que le sort des empires coloniaux est demeuré une préoccupation pour Washington depuis que le président Woodrow Wilson avait énuméré ses 14 points pour la Paix lors des négociations du Traité de Versailles en 1919. Parmi les 14 points le droit de nous autres peuples colonisés d’accéder à l’indépendance sous l’égide de la Société des Nations.
De retour à Washington Roosevelt peut intensifier la production de guerre dont une partie est destinée à être livrée à la France et à la Grande-Bretagne. L’industrie automobile américaine s’enrichit ; les chantiers navals pareil ; de futurs grands noms surgissent dont Boeing, TWA, US Steel etc. sans oublier la production agricole à grande échelle requise. Reste à attendre le prétexte pour entrer en guerre. Ce sera trouvé le 9 décembre 1941 à Pearl Harbor.
En finalisant les plans de projection de la puissance militaire américaine une priorité est accordée à l’invasion de l’Afrique du nord, sous-région déjà théâtre des affrontements entre forces allemandes et forces britanniques ; à ces dernières se sont jointes la toute petite colonne Leclerc, la France libre du général de Gaulle ayant déployé ses maigres forces à partir du Cameroun et du Tchad afin de préserver son empire colonial comme prévu dans le pacte conclu le 7 août 1940 entre Churchill et de Gaulle. Après des mois de préparatifs, le 9 novembre 1942 la puissante force anglo-américaine dirigée par le général Eisenhower peut débarquer simultanément au Maroc et en Algérie, territoires de l’empire français et doit brièvement essuyer le feu des militaires français qui n’ont pas compris que c’est la cause du général de Gaulle qui va dans le sens de l’Histoire.
Le général Eisenhower l’homme qui fit le corps à corps avec de Gaulle
Pour le respect du Pacte de l’Atlantique en Afrique du nord
En prenant appui sur la supériorité militaire américaine au lendemain du débarquement, le général Eisenhower a un agenda important lié au respect du Pacte de l’Atlantique dans son aspect de l’autonomie en Afrique du nord ; mais il se doit de poursuivre secrètement pour ne pas heurter les sensibilités de ses deux allés franco-britanniques. Spécifiquement cet agenda l’amène à soutenir les mouvements indépendantistes indigènes qui se sont déjà manifestés ; au Maroc Istiqlal a déposé son dossier mais fait face au refus de l’administration coloniale de lui accorder statut légal ; en Algérie et Tunisie il y a un frémissement des Frères musulmans qui veulent la même chose.
Avant la fin de l’année 1942 de Gaulle quitte Londres et s’installe à Alger : mais il trouve à Alger un rival que les américains ont fait venir par sous-marin, en la personne du général Giraud ; ce dernier est plus ancien que de Gaulle dans le grade de général et les américains veulent que Giraud soit le chef des forces françaises que les Etats-Unis s’apprêtent à équiper. En vérité le président Roosevelt appréciait peu le trait de caractère de ce Charles de Gaulle toujours en train d’affirmer son nationalisme et défendre l’indépendance de la France.
Lors de la Conférence de Casablanca en janvier 1943 convoquée pour régler les questions militaires suite au succès du débarquement en Afrique du nord, Churchill se présente avec le général de Gaulle sous son aile cependant que Roosevelt vient avec son poulain Giraud. Dans une tentative d’avancer malgré la rivalité entre Giraud et de Gaulle, le Comité d’Alger est créé pour représenter la France au sein des Alliés et doit fonctionner sous double signature des deux généraux en cause. Surfant sur les succès de ses hommes sur le terrain (Leclerc, de Larminat et Koenig engendrent succès après succès lors de combats en Lybie puis en Tunisie) Charles de Gaulle finit par évincer Giraud et en fin novembre 1943 se présente devant Eisenhower. Le général Eisenhower peut alors formuler à de Gaulle deux conditions avant de le reconnaitre comme l’unique interlocuteur primo légaliser Istiqlal secundo tracer l’itinéraire vers l’autonomie des colonies françaises d’Afrique sub-saharienne. De gaulle obtempère pour l’Istiqlal ; s’agissant de l’Afrique noire il convoque la Conférence de Brazzaville qui s’ouvrira le 30 janvier 1944.
Néanmoins Eisenhower et de Gaulle finiront par devenir amis et Washington équipe la colonne Leclerc de chars pour former la fameuse division blindée qui participera au débarquement en Normandie le 6 juin 1944 puis le 24 août 1944 décrochera du dispositif américain pour réaliser la Libération de Paris, où combattent également des éléments de la résistance intérieure et les forces du Parti communiste français soutenu par ….. l’Union soviétique.
Comment de Gaulle et Churchill trompèrent Eisenhower mais pas Staline
Lors de cette Conférence de Brazzaville de 1944, maniant habilement la langue française (ses détracteurs ironisaient qu’il est un officier qui gagne ses galons en écrivant des livres), le général de Gaulle autorise seulement la liberté syndicale or les indigènes entendent autonomie car c’est que les soldats africains avaient cru lorsque Leclerc les a mobilisés pour aller combattre. Et voilà une surprise de taille, une fois bien installé au pouvoir à Paris, le maintenant président de Gaulle va déployer la glorieuse division blindée de Leclerc sur le théâtre de l’Extrême-Orient avec pour objectif de reconquérir l’Indochine ; voilà comment au lieu de concéder l’indépendance aux colonies, de Gaulle a plutôt déclenché la guerre du Vietnam.
Pour sa part, en mars 1942, Winston Churchill avait envoyé en mission aux Indes britanniques un haut émissaire du nom de Stafford Cripps afin de négocier avec les leaders locaux l’enrôlement des indiens dans l’armée britannique pour aller contrer les Japonais qui ont envahi l’Asie du sud-est et sont déjà en Birmanie toute proche. Au contraire de ses compatriotes musulmans, le Mahamat Ghandi adepte de la non-violence, ne voulait l’implication de l’Inde dans la guerre mondiale et il lança le mot d’ordre de désobéissance civile par le mouvement Quit India qui prônait l’indépendance immédiate. Le 8 août 1942 l’armée coloniale écrase les manifestations massives organisées par Quit India dans toute l’étendue du territoire ; plus de quatre-vingt dix mille personnes sont arrêtées. Washington s’en mêla. Les Etats-Unis avaient une vision de l’après-guerre qui considérait la décolonisation à la fois comme une exigence idéologique et comme une ouverture pour les intérêts commerciaux des firmes américaines. Suite aux pressions exercées par le président américain Roosevelt, Churchill promet l’indépendance et Ghandi peut accepter l’enrôlement des soldats indiens. Mais deux ans plus tard, à l’approche de la victoire, Churchill commence à traiter le Mahamat Ghandi de fakir et quittera Downing Street en fin juillet 1945 sans délivrer l’indépendance à l’Inde.
Le reniement gaullien atteindra son paroxysme en septembre 1945 lorsque l’aviation française mitraille les manifestants syndicalistes à Douala ; de même un septembre noir à Madagascar. En janvier 1946 de Gaulle quittera l’Elysée sans délivrer, lui non plus.
Les deux complices qui ont trompé un Roosevelt affaibli par la maladie ont quitté le pouvoir en se disant que la mort du président américain délivre l’Europe de leur engagement d’abolir la colonisation après la victoire. Le colonialisme européen voit de beaux jours devant surtout en Afrique où règnent les franco-britanniques et les portugais. C’est alors qu’entre en scène Staline, cet ogre leader de l’Union soviétique qu’on croyait avoir rassasié en lui concédant sa part en Europe centrale, après avoir sans scrupules sacrifié les dirigeants des gouvernements en exil à Londres.
Spécifiquement, Staline reprend l’initiative dans deux territoires précédemment sous mandat et qui aspirent à l’indépendance sous l’égide du Conseil de Tutelle de l’Onu ; il s’agit de la Palestine et du Cameroun. Lors des débats à l’Onu, c’est l’Union soviétique qui soutient ardemment la revendication d’indépendance d’Israël exprimée par le Parti travailliste israélien, un allié de la gauche internationale. Avec le soutien de Staline Ben Gourion et ses compagnons de lutte ont proclamé l’indépendance d’Israël le 10 avril 1948. Le même jour et ce n’est pas un hasard, l’Union des Populations du Cameroun –UPC– déclare sa revendication d’indépendance du Cameroun. Staline rencontrera le succès en Israël mais au Cameroun il sera trompé par le sort.
Epilogue : conférence de Brazzaville revisitée en 2020
Le 27 octobre 2020 s’est tenu à Brazzaville un colloque sur le thème 60 ans d’indépendance, avec la participation active du représentant de la France, exactement son ministre des affaires étrangères ; ce dernier a exhorté les Chefs d’Etat et de gouvernement d’Afrique centrale présents à faire bloc avec la France contre les prédateurs sic. Des observateurs ont entendu que les prédateurs en cause sont les russes et les américains nouvellement venus dans la zone à la recherche des Mines du Roi Salomon. Mais est-ce que le Chef de l’Etat centrafricain son Excellence Ange Faustin Touadera l’a entendu de cette oreille ? Est-ce que le Chef de l’Etat congolais son Excellence Félix Tshisekedi l’a entendu de cette oreille ? Rien n’est moins sûr car à ce tour ci, ce sera bien difficile de tromper à la fois les américains et les russes.
Bernard Ouandji, économiste