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Sensibilisation sur l’extrémisme violent : un partenaire stratégique à la rescousse d’un ministère au Cameroun

Section 1 : considérations théoriques sur l’analyse de l’action publique de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent par le mouvement terroriste BokoHaram.

L’acte scientifique fondamental souligne Emile Durkheim9 se doit de rompre avec les « prénotions », les « représentations spontanées » et autres « fausses évidences » de la vie quotidienne pour opérer au sens Poppérien la « démarcation entre science et non science », ainsi la meilleure façon de le faire est de « considérer les faits sociaux comme les choses », c’est-à-dire extérieurs à nous et qui s’imposent. D’où la nécessité que « nous entrions dans le monde social comme dans un monde inconnu11 » afin d’établir l’ordre des raisons épistémologiques du fait scientifique conquis, construit et constaté au sens de Gaston Bachelard12. C’est ainsi que Hervé Barreau quant à lui évoque le passage de la connaissance commune à la connaissance scientifique (Barreau, 1990, p.7). Cette phase constructive de l’objet qualifiée par Howard Becker  de « représentation » (Becker, 2002, p. 36) consistera ainsi à délimiter les concepts, l’espace et le temps (A) et par ailleurs d’élaborer la problématique liée à notre sujet de recherche (B) et de présenter notre modèle d’analyse (C).

Délimitation conceptuelle et spatio-temporelle de l’étude

Nous définirons les concepts clés de notre étude (1), et ensuite nous préciserons le cadre opératoire (2).

Clarification conceptuelle

Une connaissance approfondie des concepts majeurs constitue un élément essentiel à la compréhension et à la maitrise de toute discipline ou domaine séparé de recherche. Émile Durkheim nous le démontre lorsqu’il indique que : « le savant doit d’abord définir les choses dont il traite à fin que l’on sache et qu’il sache bien de quoi il est question » (Grawitz, 2001). Vu que la clarification conceptuelle est un élément éminemment important dans le domaine de la science le chercheur doit alors en définir les termes clés de son objet d’étude à fin que nul ne se trompe sur leur itinéraire, car les mots n’ont de sens que dans un contexte bien précis. Malinowski dira à ce propos que « chaque énoncé et chaque raisonnement doivent passer par les mots, c’est-à-dire par les concepts » (Vigour, 2005, p. 139).

L’analyse de notre thématique sur  l’action publique étatique de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’organisation terroriste BokoHaram, amène définir un certain nombre de concepts clés « pour éviter les confusions nées de la polysémie de certains concepts, il est important de donner une signification qui correspond au contexte d’utilisation » (Van Der Maren, 1999). Ainsi, il importe de clarifier les notions de jeunes (1), organisation terroriste (2), extrémisme violent (3) et action publique (4), tout en précisant par la suite l’orientation ou la signification que nous donnerons dans le cadre de notre recherche.

a – A quoi renvoie le concept de jeunes ?

Depuis longtemps la jeunesse est considérée comme un vecteur de changement social que l’on se place du côté des garants de l’ordre public, qui s’en inquiète ou du côté des progressistes ou des révolutionnaires, qui s’en réjouissent. Pour interroger la notion de jeunesse, il faut d’abord s’interroger sur sa définition ou son indéfinition, c’est-à-dire, prendre en compte ce qui précise la notion de jeunesse, mais aussi ce qui la rend floue. Lorsqu’on fait un petit retour vers l’histoire on comprend que la notion de jeunesse en tant que catégorie sociale apparaît réellement dans les années 1950, après la deuxième guerre mondiale (INJEP, 2001).

Au XIXe siècle, on trouve trois jeunesses, plutôt masculine, qui n’en sont pas au sens « catégorie sociale » : La jeunesse bourgeoise qui reçoit un enseignement secondaire, la jeunesse ouvrière qui suit les traces du père dans le travail et la jeunesse traditionnelle (artisans et commerçants) qui suit une instruction primaire. Dans l’entre-deux guerres apparaissent les premiers mouvements de jeunesse catholique qui se donnent comme mission d’encadrer la jeunesse ouvrière. Ainsi, c’est sous le Front Populaire que la jeunesse et les loisirs deviennent une préoccupation de l’Etat.

Si la jeunesse par ailleurs peut s’appréhender à partir d’un âge de la vie, centrée sur une fonction principale comme l’imitation des générations précédentes ou l’expérimentation de nouvelles règles de vie, ou alors considérée dans un rapport de génération que l’on pose en opposition, il importe de souligner dans le cadre de notre travail de recherche que la jeunesse ici est cerner à partir d’une catégorie sociale et fait l’objet d’une politique spécifique. Dès lors, on peut la présenter comme une catégorie d’âge qui va de 12 à 35 ans, comme le relève de manière générale les institutions au Cameroun. Ce découpage institutionnel procède ainsi à une certaine définition de la jeunesse, donnant des limites d’âge.

b- Qu’est-ce qu’une Organisation terroriste ?

Pour saisir l’expression « organisation terroriste », il importe de clarifier d’abord ce qu’on entend par terrorisme.

– Terrorisme : Depuis les années 70, la problématique « terroriste » suscite une inflation littéraire et se hisse au premier rang des préoccupations mondiales, au point d’ailleurs d’éclipser des problèmes autrement plus destructeurs comme le sous-développement, la pauvreté, l’analphabétisme, et le sida. Le mot « terrorisme »  reste un  terme  assez  confus  et incirconcis. C’est un  phénomène  multidimensionnel  dont  les  causes  varies  sensiblement  avec  chaque  cas  de  figure. Dans  cette  mesure  où  le  terrorisme  est à la  fois  complexe  et  multiforme, il  est  extrêmement  compliqué  de  trouver  une  définition   simple  qui  décrive  bien  la  problématique.

Le mot « terrorisme » remonte ses racines dans la langue anglaise durant la révolution française, employé par l’homme d’Etat anglais Edmund Burke, pour désigner la doctrine des partisans de la terreur de ceux qui, quelques temps auparavant avaient exercé le pouvoir en menant une lutte intense contre les révolutionnaires. Si, étymologiquement, le mot a fait son apparition dans les dictionnaires après la révolution française, pour la plupart des observateurs, comme Laqueur Walter, Hoffman Bruce, Blin Arnaud et Chaliand Gérard, l’usage de la terreur à des fins politiques existait bien avant.

Selon certains auteurs, le terrorisme est avant tout une tactique, une méthode de combat. Celle qui caractérise la confrontation du « faible au fort » (Calcerrada, 2010). Qu’on le nomme « Terrorisme de guerre » (Walzer, 2004) ou « Terrorisme de guérilla » (Baud, 2003, p. 212), celui-ci a toujours pour but de conférer de la puissance et un avantage tactique à des acteurs qui en seraient dépourvus s’ils entraient dans une confrontation directe, symétrique avec une armée régulière (Di Rienzo, 2006). Gérard Chaliand et Arnaud Blin vont jusqu’à estimer que le terrorisme relève de la même stratégie que celle mise en lumière par le grand stratège Chinois Sun Tsu « Celle de vaincre sans combattre par la victoire sur les esprits » (Chaliand& Blin, 2004). Ainsi, c’est d’ailleurs en tant que méthode que Alex Schmitt et Albert Jongman définissent « le terrorisme comme méthode répétée d’action violente inspirant l’anxiété, la peur et qui est employée par des individus, des groupes (semi) clandestins ou des acteurs étatiques pour des raisons particulières, criminelles ou politiques ou au contraire de l’assassinat. La cible initiale de l’acte de violence est généralement choisie au hasard (opportunité) ou de manière sélective (symbolisme) parmi une population donnée et sert à propager un message … » (Schmitt &Jongman, 1988). Cette définition recoupe largement celle de Jean Marie Balancier pour lequel le terrorisme est « une séquence d’actes de violence, dûment planifié et fortement médiatisée, en prenant délibérément pour cible des objectifs non-militaires afin de créer un climat de peur et d’insécurité, d’impressionner une population et d’influencer ses décideurs, dans le but de modifier des processus décisionnels (céder, négocier, payer, libérer, réprimer) et satisfaire des objectifs (politiques, économiques, criminels) préalablement définies » (Balancier, 2004, p.6). Pour Arnaud Blin, « un acte terroriste est un acte politique dont le but est de déstabiliser un gouvernement ou un appareil politique, où les effets psychologiques recherchés sont inversement proportionnels aux moyens physiques employés et dont la cible principale, mais non exclusive, est la population civile » (Blin, 2005). Pour cet auteur, les terroristes ont une chose en commun dans l’histoire : « le projet politique, réaliste ou pas qui anime pratiquement tous les groupes employant la technique terroriste […] A ce projet politique se greffe une idéologie qui peut prendre plusieurs formes : marxiste, anarchiste, fasciste, nationaliste et fondamentaliste religieux » (Blin, 2005). Ainsi, définir ce concept demeure une nécessité sinon, il risquerait d’englober toute violence politique. Les textes législatifs, nationaux et internationaux, peuvent nous apporter des premiers éléments de réponse. De même que les définitions relevées dans la littérature académique.

Dans les différentes définitions officielles du terrorisme, on note par exemple la définition du département d’Etat qui qualifie le terrorisme comme une « violence préméditée, politiquement motivée et perpétrée contre les cibles non-combattantes par des groupes  extranationaux  ou  des  agents  clandestins  habituellement  créés  pour  influencer une  audience» (code  des  Etats-Unis, chapitre  38, section  2656 f (d) . La communauté internationale quant à elle s’est penchée sur la notion  de terrorisme. En effet, plusieurs conventions ont vu le jour sans pour autant consacrer  une  définition  universelle au terrorisme. La définition donnée au cours des travaux de la  Société Des Nations (SDN) à travers sa convention  de 1957 dite convention de Genève  sur  la  prévention et la répression  du terrorisme considère que « l’acte terroriste s’entend  des  faits criminels  dirigés  contre un Etat dont le  but ou la nature  est  de  provoquer  la terreur chez les personnalités déterminées  dans  un  groupe  de  personnes  ou  dans  le  public » (Convention  de  Genève  sur  la  prévention  et  la  répression  du  terrorisme, SDN, 1957). A la lecture de cette définition, il découle  un  certain  nombre  de remarques, notamment  que,  la convention  de  Genève  a  fait  une  sorte  d’énumération « close » qui  renvoie  à  des  actes  qualifiés  de  terrorisme. Cette définition  parait assez  ambivalente dans  la mesure  où  elle est  très  large et  très  restrictive, large  parce  que  l’effet  émotif  est  commun  à  la  plupart  des  faits  criminels  et  trop étroite  du  fait qu’elle  énumère  une  nomenclature  d’actes.

Le comité spécial des Nations Unies pour la prévention et la répression du  terrorisme, vient remettre en cause la  définition  donnée par la  convention de  Genève de 1937. En effet, elle a d’abord détruit l’énumération faite par la Convention de la SDN parce que très  limitative.  C’est  ainsi qu’elle introduira  de  nouveaux faits  constitutifs  d’actes terroristes. Ainsi, il ne s’agissait là que de l’introduction de nouveaux actes issus de la  seconde guerre mondiale. C’est dans ce sens que le terrorisme englobera désormais  certaines violations des droits fondamentaux des peuples. Ce nouvel acte résulte en  effet des attentats dont a été victime la délégation israélienne aux jeux olympiques  de Munich le 05 septembre 1972.   

Ainsi, à l’heure actuelle, l’organisation des Nations Unies définit officiellement le terrorisme comme « tout acte intenté pour causer la mort ou un préjudice physique sérieux à un civil ou à toute personne qui ne prend pas activement part aux hostilités dans la situation de conflit armé, quand le but de l’acte par sa nature ou contexte est d’intimider la population ou à emmener le gouvernement  ou une organisation internationale à faire ou s’abstenir de faire tout acte » (Convention internationale pour la suppression de financement du terrorisme, 2004).

L’analyse de la littérature académique montre la grande difficulté qu’il y a à définir le terme. Laqueur Walter faisait ce constat il y a près de 30 ans qu’une « définition du terrorisme politique qui se risquerait à vouloir dépasser la simple constatation de l’emploi systématique du meurtre, des coups et blessures et sabotages, ou les menaces de ces actes en vue de parvenir à des fins politiques, soulèverait forcément d’interminables controverses » (Laqueur,  1979). Gayraud Jean François et Senat David constatent de leur côté que l’analyse des définitions montre qu’elles tombent dans deux travers : «  Soit elles sont tautologiques, soit elles sont une longue suite d’énumération et se relèvent ainsi plus descriptives qu’explicatives » (Gayraud& Senat, 2002)  Cette difficulté à asseoir une définition consensuelle et universelle de la notion de terrorisme est symétrique à la tendance doctrinale d’opérer par classification ou catégorisation des formes de terrorisme selon les deux auteurs. Ils concluent donc qu’une « définition consensuelle du terrorisme apparaît dès lors impossible » (Gayraud& Senat, 2002).

Quoiqu’il n’y ait pas de définition universelle; dans le cadre de notre étude, nous considérerons la définition du terrorisme selon certains éléments qui semble faire consensus, dont Derrida Jacques définit ainsi : « Si on se réfère aux définitions courantes ou explicitement légales du terrorisme, que trouve-ton ? La référence à un crime contre la vie humaine, en violation des droits (nationaux et internationaux) qui implique à la fois la distinction entre civils et militaires (les victimes du terrorisme sont supposées être les civils) et une finalité politique (influencer ou changer la politique d’un pays en terrorisant social, politique, civils) ».

– Organisation terroriste : On peut définir l’organisation comme une structure suivant une logique propre pour atteindre un but précis. L’organisation désigne aussi l’ensemble des responsabilités, pouvoirs et relations entre les personnes permettant à un organisme d’atteindre ses objectifs. On distingue plusieurs types d’organisations, en l’occurrence celle pyramidale et la plus classique où les informations circulent de façon verticale du chef, tout en haut, au personnel de la base, tout en bas, en passant par des échelons intermédiaires.

Dans le cadre de notre analyse, l’organisation terroriste s’appréhende comme un groupement de personnes à visé politique et idéologique qui utilise la terreur pour atteindre ses buts. Il s’agit concrètement ici du groupe terroriste BokoHaram qui se saisit de la bannière de l’islam pour exprimer ses revendications en faisant usage d’une violence extrême pour faire appliquer sa propre vision holistique et intégriste d’un gouvernement islamique (Guibbaud, ..). Dès lors, cette organisation terroriste se caractérise par un ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par des individus pour créer un climat d’insécurité, pour exercer le chantage sur les autorités politiques, ainsi que pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système.

Qu’entend-t-on par Extrémisme violent ?

La définition de l’expression extrémisme violent nécessite au préalable une clarification des expressions extrémisme et violence. En effet, l’extrémisme signifie littéralement soutien et défense d’idées très éloignées de ce que la plupart des gens jugent correct, c’est un comportement considéré comme  étant hors  norme. Ce terme dénote ainsi un caractère subjectif, et son sens varie en fonction de la personne qui fixe la norme et juge norme en vertu de cette norme de ce qui est  acceptable ou non. L’extrémisme renvoie également à un mode de raisonnement politique qui se situe systématiquement sur des positions qui ne  recueillent jamais les consensus ou la majorité se rallie aux idées extrêmes de la minorité agissante. Quant à la violence, elle s’appréhende ici dans ses dimensions physiques et symboliques au sens Bourdieusien. Physique car elle renvoie aux atteintes physiques délibérées aux biens et aux personnes. Symbolique à travers la lecture dévoyée des préceptes religieux et le processus d’intériorisation et d’acceptation volontaire de cette dernière par l’individu.

A ce titre, l’extrémisme violent tout comme le terrorisme ne fait l’objet « d’aucune définition convenue au plan international », et par conséquent fait l’objet de controverses. Les expressions « extrémisme violent »  et « terrorisme »  sont souvent à tort, employés de manière interchangeable. Bien que le terrorisme représente une forme d’extrémisme violent  et soit souvent motivé par des raisons idéologiques, il faut noter par ailleurs que « le fondement conceptuel qui distingue le terrorisme de l’extrémisme violent est la  création de la peur, ou de la terreur comme moyen d’atteindre un but »52. Cette expression renvoie aux opinions et aux actions de ceux qui approuvent la violence ou y ont recours au nom d’objectifs idéologiques,  religieux, ou politiques. Cette définition inclue le terrorisme et d’autres formes de violences sectaires motivées par des raisons politiques.

En revanche, qualifié par le Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki Moon comme une violation directe de la charte des Nations Unies et une grave menace à la paix et à la sécurité internationales (Ban Ki-Moon, 2016), l’extrémisme violent se définit par plusieurs cercles académiques comme « les croyances et les actions des individus et des groupes qui soutiennent ou utilisent la violence pour atteindre des objectifs idéologiques, politiques ou religieux » (Ogharanduku, 2017, p. 208). Christophe Bourseiller, dans son ouvrage L’extrémisme, Une grande peur contemporaine, définit l’extrémiste violent comme partisan d’une doctrine politique poussée jusqu’à ses extrémités, qui détermine un certain nombre de comportements et de pratiques, l’extrémiste appelle à un changement radical de société. Ce changement ne peut s’effectuer que par la violence et parfois par un comportement très radical qui font de lui un acteur du système enclin aux actes de terrorisme (Bourseiller, 2012 : p. 39). Il n’est pas l’apanage d’une race, d’une ethnie, d’une religion ou d’une culture en particulier, les personnes qui adhèrent à des vues extrémistes ne suivent pas toutes le même cheminement et n’ont pas toutes le même profil.

On peut dès lors appréhender cette expression « extrémisme violent » dans le cadre de ces travaux comme un processus selon lequel une personne adopte des points de vue radicaux qui se traduisent par des  comportements violents ou une pensée dogmatique qui préconise des modes d’action violents.

 4 – Action publique

C’est une expression générique  qui désigne de manière générale, les activités des autorités investies par les autorités publiques. Elle désigne de manière générique des décisions résultant d’un consensus entre différents acteurs intervenants dans son optimisation. Afin d’éviter toute confusion, il importe de procéder à la définition de la notion d’action publique. Nous reviendrons au préalable sur le sens attribué au concept même de politique publique qui, prête souvent à confusion et est souvent assimilée à la notion d’action publique.

Les minimalistes encore considérés comme les classiques renvoient les politiques publiques à l’action étatique (Muller &Surel, 1998, p 16). Ils les considèrent dans ce sens comme « les actes et non actes engagés d’une autorité publique face à un problème ou dans un secteur relevant de son ressort » (Meny&Thoenig, 1989, p. 129-130). Cette définition est revue par Jean Claude Thoenig et Yves Meny (Meny&Thoenig, 1989, p. 130-131). Pour ces derniers, les politiques publiques « se présentent comme des programmes d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou dans un espace géographique ». Cette définition présente l’avantage de mettre en évidence la dimension pragmatique de l’analyse des politiques publiques (Muller, 1990, p 16), ceci dans la mesure où toute action publique, à quelque niveau que ce soit, quel que soit le domaine concerné, entre dans le champ de l’analyse des politiques publiques. Elle présente aussi l’avantage « de cerner un objet de recherche relativement concret » (Muller &Surel, 1998, p 16). Ainsi, une politique est menée en vue d’atteindre des objectifs, de mettre en œuvre des valeurs, de satisfaire des intérêts, en intégrant un ensemble d’acteurs, d’où la notion d’action publique.

Il convient de préciser que, c’est à partir du besoin ou de la nécessité de saisir ou d’appréhender l’Etat « en action » (Jobert & Muller, 1987, p. 34) ou « au concret » (Padioleau, 1982, p. 35) au sens de Gustave Padioleau que le glissement nominal s’est opéré entre la notion de politique publique et celle d’action publique. En effet, comme l’explique Jacques Commaille, « face à une vision mono-centrée, hiérarchisée et descendante de la décision publique comme instrument d’un Etat qui planifie, qui incite et qui détermine les objectifs et conçoit les règles, s’impose progressivement l’idée d’une action publique à multi niveaux impliquant une multiplicité d’acteurs et au sein de laquelle l’Etat n’est plus qu’un des partenaires participant à sa construction collective » (Boussaguet et al, 2014, p. 599-607). Dans une société complexe l’action publique fait référence à une régulation multipolaire, à la démultiplication et à la polycentricité des niveaux d’actions. A cet effet, il est possible de noter avec Pierre Muller que « lorsqu’on veut comprendre les processus qui conduisent à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique publique, il est essentiel d’avoir en mémoire qu’une politique n’est pas un processus abstrait dont on pourrait saisir le sens « de l’extérieur » en se limitant aux déterminants structurels ou contraintes ».

Dès lors, l’on appréhende dans le cadre de cette étude l’action publique comme « construction collective d’acteurs en interactions contextualisées » au sens de Patrick Hassenteufel. On définira en ce sens l’action publique au sens de Vincent Dubois comme « l’ensemble des relations, des pratiques et des représentations qui concourent à la production politiquement légitimée de modes de régulation des rapports sociaux » (Dubois, 2009, p. 311-325). Ces relations, plus ou moins institutionnalisées, s’établissent entre des acteurs aux statuts et positions diversifiés qu’on ne peut réduire a priori aux seuls « pouvoirs publics » : représentants de groupes d’intérêt, journalistes, entrepreneurs privés ou usagers y côtoient ministères, organisations internationales, fonctionnaires ou responsables politiques. 

b- Cadre opératoire de l’étude

Notre sujet de recherche est circonscrit dans la région de l’Extrême-Nord partant de l’expansion des actes terroristes du groupe BokoHaram au Cameroun dès 2014. En effet, la région de l’Extrême-Nord se trouve dans la zone septentrionale du Cameroun, pays d’environ 24 984 6943 millions d’habitants situé au centre de l’Afrique. Territoire colonial allemand entre 1884 et 1916, et divisé après en territoires britannique et français, le Cameroun obtient son indépendance en 1960 et s’unifie en une république en 1972. Alors que la majorité de la population s’identifie comme chrétienne, dans les régions septentrionales, notamment à l’Extrême-Nord (zone de cette recherche), une grande partie de la population pratique la religion islamique (UNOCHA, 2018).

Source : Fond de Cartes ING / conception Calvin MinfegueAssouga

En encadré

Historique

Historiquement, les habitants de la région de l’Extrême-Nord pratiquent l’Islam dominé par la confrérie soufie « Tijaniyya » (Institut National de la Statistique, 2014). La région est la plus vulnérable économiquement du Cameroun, avec les trois-quarts de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Les groupes ethniques les plus importants dans le mayo tsanaga sont les marfa, Kapsiki, moufou et mandara. Dans le mayo Sava, il s’agit de mandara, Kodoko et mara. Dans le Logone et Chari, la population inclut le Kotoko et le mousgoum ainsi qu’une proportion importante de la population qui s’identifie comme Arab-Choa. Les communautés pratiquent des activités économiques spécifiques à leur groupe et adaptées à la variation climatique dans la région, y compris l’agriculture, le pastoralisme, la pêche, la chasse, le commerce (et la contrebande), et l’artisanat. Au fil du temps, la désertification et d’autres pressions climatiques ont forcé les groupes à abandonner les stratégies traditionnelles de subsistance et à se diversifier dans d’autres secteurs de l’économie (International Crisis Group, 2017).

Cependant, on relève des tensions intercommunautaires, ainsi que les liens entre certains groupes ethniques et les militants BokoHaram qui ont augmentés dans le cadre de la crise (International Crisis Group, 2017). Selon les données les plus récentes, l’insurrection du groupe armé qui sévit dans la région a touché plus de deux millions de personnes, dont 90.000 réfugiés, plus de 200.000 personnes déplacées, 500.000 membres de la communauté hôte et des centaines de milliers d’autres ménages dans la région. Le conflit est en cours depuis la première attaque de BokoHaram en 2014. En 2015, le premier attentat suicide a eu lieu au Cameroun. Depuis lors, il y a de manière constante des violents affrontements entre les groupes armés et l’armée camerounaise. A la fin de 2017, la violence a déplacé 300.000 personnes de plus. La crise a été caractérisée par la destruction des logements pendant le conflit actif, la perte d’accès aux terres agricoles due au déplacement et aux problèmes de sécurité ainsi que la perturbation des activités économiques et l’épuisement des sources locales de résilience (UNESCO, 2018).

L’intérêt porté sur cette région du Cameroun tient à la crise sécuritaire que traverse les populations de cette partie du pays, en l’occurrence la catégorie sociale jeune, qui se retrouve enrégimenter dans des actes de violence en intégrant l’organisation jihadisteBokoHaram. Dès lors, la trajectoire sociohistorique de cette zone en crise nous permet d’appréhender les facteurs qui expliquent l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent et d’analyser les dispositifs pris à cet effet pour contrer ce type de menace en expansion dans cette partie du Cameroun.    

Elaboration de la problématique

Selon Michel Beaud, la problématique est « un ensemble construit autour d’une question principale, des hypothèses de recherches et des lignes d’analyse qui permettent de traiter le sujet choisi ». Aucun objet de recherche ne parle spontanément à ceux qui l’on définit. Pour qu’il nous dise quelque chose, il nous faut faire de ce qu’il parait simple un problème, puis concevoir une stratégie de recherche qui se déroulera ensuite sans trop de heurts ». Mais avant toute chose, il importe pour nous de présenter la revue de littérature qui nous situe sur l’état de lieu actuel de l’étude. Cette partie consiste à voir les auteurs qui ont écrit sur le sujet (1), à présenter notre approche (2) ainsi que le cadre théorique de notre étude (3).

Revue de la littérature ou les problématiques instituées

La revue de littérature est une étape fondamentale dans tout travail scientifique, car elle constitue l’un des moments forts dans la construction  de notre objet d’étude. En  affirmant ainsi sa place dans  l’élaboration d’une question de recherche, Madeleine Grawitz  estime qu’il faut tenir compte du rôle des travaux antérieurs et de la  bibliographie « car au stade de l’idée et de la précision des objectifs, est prudent de s’inquiéter de ce que d’autre ont déjà trouvé ». Elle consiste pour tout chercheur selon Olivier Lawrence et ses collègues, Guy Bedard et Jules Ferron, à apporter une valeur ajoutée à la production scientifique afin d’identifier l’écart entre ce qui est connu et ce qui est à connaitre. Partant de ce fait, notre revue de littérature sur la lutte contre l’extrémisme violent s’articule autour de quatre (04) principales approches, dont l’approche sécuritaire, celle multilatérale, l’approche idéologique, et l’approche socioéconomique

L’approche sécuritaire de lutte contre de l’extrémisme violent

La première tendance qualifiée de sécuritaire dans la mesure où les différentes  stratégies de lutte contre l’extrémisme violent sont développées au niveau des structures  interétatiques qui excluent les acteurs infra-étatiques, se situe ici dans une approche « top down » de gouvernance sécuritaire dans laquelle tout part du sommet. Les décideurs politiques mettent en exergue leurs prérogatives régaliennes pour contrer l’extrémisme violent via les structures de sécurité définies par eux même en se focalisant sur le fait que « la lutte contre le terrorisme relève en priorité de la compétence de chaque Etat ».

Parmi les apologues de cette thèse, on retrouve Jacques Joël Andela pour qui, le débat sur le terrorisme international incarné par l’extrémisme violent a indéniablement pris des proportions considérables depuis les attentats tristement spectaculaires et sanglants du 11 septembre 2001 aux Etats Unis. Pour lutter efficacement contre cette menace, les Etats, en l’occurrence ceux africains devraient mettre sur pied des méthodes directes qui se situent à l’avant-garde des déficits sécuritaires. Elles consistent concrètement à renforcer les mesures de sécurité et de contrôle des frontières des pays. Cependant, parce que le risque zéro n’existe pas,  les tenants de cette approche pensent qu’il est nécessaire de contenir avec la plus grande fermeté les actes d’extrémisme violent perpétrés, en identifiant non seulement les auteurs complices, mais aussi les commanditaires.

C’est dans ce sens qu’au Cameroun, en prenant l’action de l’armée camerounaise comme parangon en Afrique centrale (d’après le colonel Didier Badjeck), certains estiment que dans l’environnement de perfidie marqué par l’imprévisibilité des attaques de BokoHaram, nécessite d’user des dispositifs sécuritaires internes favorisants la résilience de chaque Etat. C’est dans cette optique qu’est constamment évoquée la vigilance permanente et la détermination inébranlable comme des facteurs ayant permis à l’armée camerounaise de contenir la montée contre l’extrémisme violent incarné par les attaques asymétriques du groupe BokoHaram.

Cette approche sécuritaire est en lien avec la nécessité stratégique de l’Etat dans la mesure où, selon Aïcha Pemboura prenant le cas du Cameroun, la définition de l’environnement culturel détermine le choix stratégique de la politique de sécurité et de défense en contexte de crise sécuritaire. Ainsi, la culture stratégique du Cameroun apparaît comme élément clé dans la définition des stratégies de riposte face à BokoHaram. Dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme violent, le gouvernement camerounais a plus que jamais besoin du soutien de la population. On a observé par conséquent une mobilisation générale à travers la « coopération civilo-militaire » accrue. La défense est à la fois totale permanente, elle inclue toutes les couches et catégories sociales.

Cette tendance, bien que pertinente, fait abstraction  du caractère transnational et/ou régional de la menace que représente la menace que constitue l’extrémisme violent. Une approche pense que pour mieux lutter contre ce phénomène, le souci de mutualisation d’efforts dans une dynamique régionale est une urgence.

L’approche multilatérale d’analyse de la lutte contre l’extrémisme violent

Contrairement à l’approche précédente qui considère que la lutte contre l’extrémisme violent est une affaire réservée exclusivement aux forces de défense et de sécurité, les défenseurs de la seconde tendance estiment qu’il est fondamental de mutualiser les efforts pour venir à bout de cette menace. On s’inscrit donc ici dans une gouvernance sécuritaire qui prend en compte à la fois approches « top down » et « bottom up » qui se matérialise par le fait que cette mutualisation d’efforts se réalise tant sur le plan interne que sur le plan externe. Ainsi, la lutte contre l’extrémisme violent impose action collective. Il s’agit donc d’une suite logique de la réunion de Niamey du 20 janvier 2015 au cours de laquelle la mobilisation contre l’organisation terroriste BokoHaram a pris un souffle régional consistant pour les Etats participants à mutualiser les efforts afin d’endiguer la menace.

Parmi les défenseurs de cette thèse, on retrouve Léon Koungou qui se lance dans une perspective historique de décryptage de ce mouvement extrémiste. Il part de sa genèse, de l’évolution et des alliances de ce dernier avant d’en venir à la régionalisation de ses actions et de la redynamisation de la Force Multinationale Mixte. Il aborde les difficultés liées à cette guerre asymétrique, l’état des dialogues autour de son implémentation cristallisée. Selon celui-ci, le Cameroun fait face à la nouvelle menace et doit adopter de nouvelles stratégies. L’établissement d’un partenariat franco Cameroun solide s’impose. Il estime qu’on devrait assigner aux forces armées de nouvelles menaces à l’aune du partenariat avec les autres Etats victimes des atrocités de BokoHaram. Il ajoute également que pour neutraliser efficacement ce  mouvement terroriste, le Cameroun doit s’appuyer non seulement sur son armée qui a connue des réformes en 2001, mais également sur des partenariats fiables dans le cadre d’une formation de qualité des militaires camerounais et l’échange d’informations entre la France et le Cameroun.

Joseph Vincent NtudaEbode estime que la lutte contre le terrorisme reposes sur la  « communautarisation des moyens de lutte et une coopération transfrontalière ». Les pays d’Afrique centrale doivent penser ensemble les politiques de lutte contre l’expansion de menaces telles que le terrorisme, l’extrémisme violent, la piraterie, mettre en œuvre des moyens adéquats avant de solliciter l’aide à la communauté internationale et s’affranchir progressivement de leur dépendance vis-à-vis des grandes puissances. Dans un contexte de mondialisation où la criminalité transfrontalière ignore les frontières étatiques et la souveraineté de l’État, il devient indispensable d’avoir une approche globale de lutte contre cette forme de criminalité, en renforçant la coopération internationale en particulier entre institutions judiciaires et institutions répressives.

Cette position est également partagée par Marc-louis Ropivia qui estime que la  communauté d’intérêt appelle une volonté conjointe des acteurs institutionnels, des acteurs  étatiques et des acteurs privés à lutter contre le crime organisé avec des moyens adaptés. Cela signifie concrètement selon lui un partenariat plus actif dans la coordination des stratégies,  une mutualisation des moyens de détection, de surveillance et d’intervention dans la lutte  contre la criminalité dans le bassin du lac Tchad. Toutefois, force est de constater que l’épicentre de toute stratégie de lutte contre la criminalité est la reconstruction des Etats  riverains selon les préceptes de « bonne gouvernance », en particulier la redistribution équitable des revenus tirés des richesses nationales et notamment des richesses pétrolières, qui métraient fin aux inégalités sociales présentent dans la région objet du cadre d’étude.

Cette approche multilatérale, certes pertinente dans la mesure où l’emphase est essentiellement mise sur les réactions des organisations régionales et dans le cas d’espèce, l’Union africaine à travers le mécanisme de lutte instituée dans ses différentes institutions régionales et sous- régionales présente des insuffisances. En effet, depuis les attentats de 2001 une approche globale de lutte contre le terrorisme s’est imposée à travers la résolution 1373 du 28 Septembre 2001 imposant à tous les membres de l’ONU d’adopter une approche globale contre cette menace transnationale.

L’approche idéologique d’analyse de lutte contre l’extrémisme violent

Gilles Kepel pense qu’entre islam et violence, il y a une suite logique. Il tente de le prouver en employant des concepts comme « Jihad », (combat sacré pour la cause de Dieu), « Fitna » (« Désordres visant la communauté musulmane »). La modernité occidentale est en fait un ferment qui permet à la violence intrinsèque à l’islam de se manifester. Paul Balta au contraire estime qu’entre islam et violence, il n’y a pas de suite logique. Néanmoins, tout comme Kepel, il lie l’extrémisme et le terrorisme islamiques à la révolte contre la civilisation occidentale. Tout compte fait, on peut reprocher à Balta et à Kepel le fait de réduire la modernité occidentale à la civilisation judéo-chrétienne plutôt qu’aux valeurs de l’occident contemporain comme le soutient Olivier Roy.

Ce dernier, s’il estime que la « Radicalisation et [la] violence se font le plus souvent en dehors de la religion […], elles n’ont rien à voir avec l’Islam ». Il ne manque pas de souligner que l’islam radical se dresse vigoureusement contre les valeurs de la modernité occidentale qu’il juge perverses, hérétiques et surtout dangereuses pour sa survie. Contrairement à Kepel et à Balta, Roy pense que « nous ne sommes pas dans une guerre des cultures […] mais dans une guerre des valeurs […] Le conflit n’est pas entre les lumières et l’Islam, mais entre les valeurs issues de la révolution de 1960 (féminisme, droits des LGBT, liberté sexuelle, avortement, etc.) et les valeurs conservatrices que défendent aujourd’hui les religions ». Roy refuse néanmoins de se livrer à une lecture critique de l’Islam. Il s’intéresse moins aux textes sacrés de l’Islam qu’aux évènements à connotation islamique.

Plusieurs auteurs prennent appui sur le bassin du lac Tchad pour défendre le même point de vue. Ainsi, pour Christian Seignobos, l’extrémisme et sa version terroriste dans le bassin du lac Tchad sont l’expression d’une volonté de rompre avec la civilisation occidentale considérée comme perversion. Il note que la volonté de BokoHaram et par ricochet du MUJAO  de créer un califat comme celle de s’affilier à Daech ne peut s’interpréter que comme une idéologie de rupture plus radicale, avec l’occident; BokoHaram et étant les sectes islamique qui incarnent l’extrémisme religieux et le terrorisme dans le bassin du lac Tchad. Claude Abe partage son avis sur le rapport de cause à cet effet entre les valeurs occidentales, l’extrémisme religieux et le terrorisme. A la suite de Christian Seignobos, Claude Abe soutient que les Etats, notamment ceux du bassin du lac Tchad, sont aux prises avec les attaques des mouvements islamo-extrémistes et terroristes à cause de la « présence des traces de leurs relations historiques avec l’occident aujourd’hui dans la forme de leur ordre politique et le fonctionnement quotidien de leurs sociétés ». Il est vrai que BokoHaram et le MUJAO sont inextricablement liés à l’extrémisme islamique et au terrorisme, mais en parler distinctement de manière à comprendre aisément les composantes est l’approche que les auteurs sus-évoqués n’ont pas suffisamment privilégiée.

Alexis Kangatlam semble combler ce manquement, car, il analyse précisément l’Islam, l’extrémisme religieux et le terrorisme de type de BokoHaram. Il explique la situation qui prévaut dans le bassin du lac Tchad en trois moments chronologiques : l’islam rigoriste prôné par Mohamed Yusuf ; la radicalisation de cet islam devenu extrémiste sous la houlette d’AbubakarShekau et son basculement dans le terrorisme. La civilisation occidentale se présente comme l’ennemie à abattre, sauf que l’analyse de l’auteur n’obéit pas au principe de neutralité scientifique scrupuleusement respectée par AlhadjiMahamat. Ce dernier  soutient  que les sectes islamiques, incarnation de l’extrémisme et du terrorisme islamique sont farouchement opposés à « tout ce qui ressemble à la culture occidentale ».

Par ailleurs, dans cette catégorie on retrouve Alain FogueTedom qui pense que l’extraversion étatique des pays africains est au cœur de la problématique des conflits politiques africains. Pour lutter de manière efficace contre l’insécurité « la démocratie apparait comme incontournable, elle constitue la clé maitresse de l’insécurité ». Il faut au préalable selon lui, acquérir l’autonomie de leur force de sécurité et de défense en renonçant au accordes de coopération de 1959. Ceci implique de mettre un terme à la cécité stratégique et définir une politique nationale de défense et de sécurité. La construction de la paix doit  avoir pour fondement l’Etat de droit et le fonctionnement démocratique des  institutions. François Burgat lui soutient que les motivations des islamistes, loin d’être religieuses, sont politiques et profanes. Pour lui, l’islamisme est purement et simplement une vengeance due aux frustrations issues de la répression des acteurs politiques musulmans par des régimes autoritaires et leur mise au banc par des acteurs occidentaux. La démarche de François Bulgat semble tout de même être contredite par les discours des islamistes qui affirment agir en conformité avec les lois islamiques.

L’approche socioéconomique d’analyse de la lutte contre l’extrémisme violent

Pour Dominique Baillet « l’islam n’est […] pas une religion intrinsèquement violente, mais une religion de préférence pacifique, humaniste et universaliste ». Ainsi, la compréhension de l’extrémisme et du terrorisme islamiste est à envisager sous l’angle des frustrations sociales et politiques. Seulement, Baillet est obstiné à démontrer à tout prix l’innocence de l’islam. Bernard Rougier quant à lui propose une analyse différente de celle des autres. Il souligne que ce ne sont pas les frustrations sociopolitiques qui créent l’islamisme, ce sont les entrepreneurs religieux qui exploitent la crise sociale pour imposer leur conception rétrograde de l’islam. La crise sociale y est quand même pour quelque chose. Toutefois l’auteur n’évoque pas suffisamment les motivations politiques de ces entrepreneurs religieux-là.

Adam Higazi quant à lui note que pour comprendre l’extrémisme violent et le terrorisme, il convient de s’intéresser à plusieurs facteurs, entre autres le contexte religieux « celui des mouvements du Réveil islamique dans le Nord du Nigeria et leur tendance à se fractionner » et les contextes politique et économique ayant engendré un « sentiment populaire d’injustice et de désillusion face aux iniquités du système politique actuel et à la rapacité de l’élite au Nord du Nigeria. ». Ces iniquités auraient engendré la révolte des jeunes étudiants contre le pouvoir central et aurait dégénéré en islamisme. La modernité occidentale est loin d’être la vraie cause de BokoHaram. Pérouse De Montclos, de même, estime que le laxisme gouvernemental, les inégalités et les injustices sociales prônées égoïstement par les leaders des Etats nigérians appliquant la charia, ont exacerbé un groupe des musulmans fondamentalistes de manière à basculer dans l’extrémisme et le terrorisme de sorte que BokoHaram a commencé à cibler et enrôler les jeunes volontairement ou de force pour la lutte pour une justice et mettre fin aux valeurs occidentales modernes perverses. La pauvreté en tant que facteur de frustration, la mauvaise gouvernance, le dysfonctionnement de l’État, la corruption et la suspicion sont alors pointés du doigt.

Priscilla Sadatchy également soutient que l’islamisme radical, extrémiste et terroriste tel que vécu dans le bassin du lac Tchad est le fait des jeunes sans emploi, sans perspective d’avenir et des bandes criminalisées à cause de la mauvaise gouvernance, agissant essentiellement pour des raisons économiques. Germain Fabrice Menyenga, pour sa part, adopte une démarche socio- psychologique pour prouver que l’extrémisme religieux et le terrorisme résulte des frustrations sociales. Pour y parvenir, il interroge les ex-BokoHaram et analyse leurs discours. S’il accuse l’environnement socio-économique et politique moins reluisant et s’il estime qu’il est la cause des frustrations et par conséquent des violences islamistes, il n’établit pas suffisamment ou amplement la responsabilité des gouvernements corrompus contrairement à Eric SournaLoumtouang. Richard Filakota n’en dit pas moins lorsqu’il affirme que BokoHaram est « la révolte des marginaux ». Pour lui tout comme pour FouaponAlassa, c’est l’incapacité des politiques à assurer une vie sociale juste et meilleure qui a conduit aux dérives extrémistes et terroristes. Ainsi, ces auteurs s’inscrivent, volontiers, en faux contre la thèse d’un djihad contre la perversité occidentale.

Notre approche : l’analyse de l’action publique de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’organisation terroriste BokoHaram dans le nord- Cameroun

A la base de notre réflexion se trouvent les actes terroristes perpétrés par l’organisation islamiste BokoHaram dans la région du bassin du lac Tchad en général, et particulièrement dans le nord Cameroun. Un éclaircissement s’impose alors à ce niveau à savoir, notre préoccupation est « la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent, spécifiquement dans l’organisation terroriste BokoHaram ». Cette préoccupation implique tout un ensemble de pratiques institutionnelles qui, au sens de Vincent Dubois (op. cit.) concourent à une régularisation des comportements des acteurs et participent de l’éradication de ce phénomène.

En réalité, le fondamentalisme islamique qui s’implante progressivement de manière à gêner l’existence du soufisme, sont hérétiques et maraboutiques. De ce point de vue, existe une opposition entre islam soufi tolérant et islam fondamentaliste intransigeant qui favorise l’émergence des groupes prosélytistes à l’instar d’Izala. L’état d’esprit islamo-fondamentaliste intolérant, faisant peser une épée de Damoclès sur les pays du bassin du lac Tchad, ne tardera pas à  se  muer  en violence  généralisée sous l’instigation de quelques entrepreneurs véreux, parmi lesquels Mohamed Marwa, fondateur de Maïtatsine : c’est l’extrémisme religieux. A partir de ce cas, l’équation fausse et injuste selon laquelle islam = extrémisme religieux = terrorisme devient très visible. Il en sera davantage lorsqu’à partir de 2003, une faction religieuse fondamentaliste connue sous le nom de BokoHaram devient, en 2009, extrémiste puis terroriste  poussant ainsi les jeunes à les rejoindre dans les rangs pour commettre des actes dangereux en les promettant une vie épanouissante.

Qui plus est, conscient du danger que représente de façon permanente l’extrémisme violent dans la région du lac Tchad en général, et particulièrement au nord Cameroun où se trouve notre terrain d’étude, avec pour corollaire l’enrôlement des jeunes, Les autorités politiques optent pour la mise en place des politiques sécuritaires pour la protection des populations locales et des politiques publiques pour éliminer toute forme de menaces, d’activités et de programmes qui contribuent à attirer les plus jeunes à intégrer l’organisation terroriste qui sème la terreur dans cette zone. La mise en place de ces politiques est donc axée sur une gouvernance sécuritaire axée sur la lutte contre cette menace qui par ricochet permet l’évitement ou la réduction du phénomène  de l’enrôlement de cette couche fragile et malléable que sont les jeunes qui vivent dans une précarité et sont souvent prêts à rallier les rangs des groupes violents en contrepartie d’une vie de rêve

En effet, notre approche s’inscrit dans une perspective analytique globale qui insiste sur ce qui explique et comment s’élabore la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent notamment dans le BokoHaram au nord Cameroun, car ce pays connaît une expérience incontestablement violente des exactions du groupe BokoHaram. L’aspiration institutionnelle à éradiquer l’extrême violence dans le septentrion et à réintégrer les jeunes dans une vie sociale normale provoque la production non seulement des politiques publiques en la matière, mais aussi le renforcement des structures administratives et sécuritaires à plusieurs niveaux dans cette région. Cette préoccupation amène à l’appropriation d’une démarche réaliste qui postule une compréhension réaliste du phénomène et un éclaircissement des processus institutionnels de lutte contre l’enrôlement des jeunes. Par ailleurs, il faut noter que cette lutte intègre certes, des structures internationales, mais notre objectif ici réside dans l’étude et la prise en considération des structures nationales et institutions publiques au Cameroun, qui participent à la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’organisation terroriste BokoHaram.

Cadrage théorique : le choix pour le néo-institutionnalisme comme option pertinente d’analyse  

La théorie représente tout un ensemble conceptuel sur lequel est fondée l’explication d’un ordre de phénomène. Elle permet d’informer et d’expliquer notre objet d’étude. En effet, étymologiquement, le mot dérive du substantif grec theoros, qui signifie « spectateur » ou « témoin », ainsi que du verbe subséquent  theôrein, qui signifie « observer avec émerveillement ce qui se passe pour le décrire, l’identifier et le comprendre » (Battistella, 2009, p. 26). Pour Philippe Braillard, la théorie est une « expression qui se veut cohérente et systématique de notre connaissance de […] la réalité. Elle est là pour dire ce que nous savons ou croyons savoir de cette réalité pour réunir et systématiser divers éléments de notre connaissance […] la fonction de la théorie est l’explication de la réalité… » (Braillard, 1977, p. 13). Plus loin il souligne qu’elle « implique une activité de sélection et de mise en ordre des phénomènes et des données » (Ibid., p. 14) elle est avant tout une synthèse destinée à expliquer un ensemble de phénomène ; pour Raymond Aron, c’est un outil à la disposition du chercheur ou de l’analyste grâce à laquelle celui-ci peut proposer une compréhension des relations internationales à partir du point de vue des acteurs, à partir de « la façon dont ils perçoivent, définissent les enjeux et les solutions, interprètent une situation et se perçoivent eux-mêmes, le but qu’ils cherchent à atteindre » comme le pensent d’ailleurs Hollis et Smith (Battistella, op. cit., p. 37-38). Tout compte fait, « Sans théorie, il n’est pas possible de régler un seul instrument, d’interpréter une seule lecture ».

La typologie des approches esquissée plus haut montre qu’en raison de la complexité de la problématique de l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent, un déterminisme et un volontarisme purs ne sont pas heuristiques. La lutte contre cet enrôlement des jeunes, est le résultat de l’action réciproque entre plusieurs éléments notamment les acteurs et institutions, contraintes, normes et stratégies, institutions, valeurs et culture. Fort de ce postulat, le néo-institutionnalisme est au cœur de l’analyse de notre objet d’étude. L’intérêt pour ce cadre théorique d’analyse réside dans le fait qu’il est une école qui a pour objectif de « structurer la politique » (Steinmo, 1992) c’est-à-dire d’organiser les modèles politiques de façon stable, en conférant aux institutions une importance théorique. Seulement, la mise en évidence des politiques publiques des institutions dans la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’organisation terroriste BokoHaram vise à expliquer le comment les autorités politiques adoptent les politiques pour restreindre l’embrigadement des jeunes dans l’extrémisme violent.

Le néo-institutionnalisme est un courant théorique qui permet d’expliquer les faits sociaux à partir des institutions. Il s’agit d’une approche qui se décline en plusieurs variantes (Peters, 1999 ; Thelen et Steinmo, 1992, p. 7 ; Hall et Taylor, 1997, p. 469-496), qui, si elles sont prises individuellement, deviennent inapte pour mieux cerner la problématique qui fait l’objet de notre étude à savoir la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent dans la région de l’extrême-nord Cameroun. Toutefois, il est important de souligner que notre travail de recherche ou nos démonstrations s’inscrivent dans les variantes du néo-institutionnalisme sociologique et discursif. Celles-ci bénéficieront également des accompagnements des autres variantes pour atteindre une meilleure objectivité. Parmi ces nombreuses variantes de cette approche d’analyse, on distingue le néo-institutionnalisme historique, sociologique (ou organisationnel) et du choix rationnel, et le néo-institutionnalisme discursif.

Dans le néo-institutionnalisme sociologique les institutions constituent la variable indépendante, c’est-à-dire la variable explicative puisqu’elles façonnent les acteurs et font naître leurs intérêts et leurs préférences : « les institutions ne se contentent pas de contraindre les choix possibles ; elles établissent le critère fondamental au travers duquel les acteurs découvrent leurs préférences » (Powell et Dimaggio 1991, p.11). Selon les tenants de cette approche, les institutions sont porteuses de système de sens (des matrices cognitives), compris et partagés (souvent tacitement) par les acteurs sociaux, et qui les aident à fonctionner et à se maintenir. Les institutions structurent la vie sociale et politique, ainsi que le comportement des acteurs.  Contraintes ou ressources pour les acteurs, les institutions déterminent où, quand, comment et par qui les ressources sont utilisables ; elles sont le reflet d’asymétrie de pouvoir entre les groupes d’acteurs, les plus puissants d’entre eux pouvant imposer leurs préférences institutionnelles. En d’autres termes, les néo-institutionnalistes sociologiques  partent de l’idée selon laquelle les préférences individuelles ne sont pas uniquement le produit du cadre institutionnel au sens strict (notamment au sens d’institutions politiques), mais qu’elles découlent d’un cadre de référence beaucoup plus large. Ils mettent ainsi en évidence le rôle de la culture et de l’organisation sociale dans la définition des choix et des comportements des individus.

Le néo-institutionnalisme discursif quant à lui nous aide à expliquer la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent notamment dans l’organisation terroriste BokoHaram à travers « les processus politiques, et plus particulièrement les politiques publiques, à la fois par les facteurs idéels-discursifs et institutionnels » (Boussaguet et al, 2014, p. 350). Il s’agit pour nous d’organiser l’explication des politiques institutionnelles par les idées à l’aide de la conceptualisation des discours du président de la République face à l’organisation terroriste BokoHaram ; lesquels discours sont assez instructifs pour nous permettre de comprendre parfaitement l’action publique des autorités publiques. Cette variante nous permet d’expliquer le contenu substantiel des idées (Campbell et Pederson, 2001) et les discours comme un mode d’interaction entre les jeunes engagés dans le groupe terroriste BokoHaram et les politiques publiques mises en place pour enrayer cet enrôlement. Finalement, le néo-institutionnalisme discursif nous aide à la compréhension et la légitimation de l’action publique de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent dans l’extrême-nord au Cameroun. 

Cette approche méthodologique nous est utile parce qu’elle met l’accent sur l’importance de l’action publique et le retour des institutions dans les sciences sociales et postule l’existence d’un cadre cognitif et normatif qui oriente l’action des acteurs individuels ou collectifs. Ainsi, nous souhaitons montrer combien l’action publique structure et conditionne le comportement des jeunes et bien d’autres acteurs directement liés aux exactions du groupe terroriste BokoHaram, et permet de rendre compte à la fois de la dimension discursive et sociologique du choix des institutions pour expliquer notre objet. Cela dit, les autorités politiques et bien d’autres protagonistes, établissent des régularités cognitives et normatives, qui rendent plus prévisibles les comportements et le contrôle de l’enrôlement des jeunes au sein du BokoHaram. Nous soulignons alors ici, d’une part l’importance accordée à l’histoire comme ligne d’analyse privilégiée, des régularités cognitives et normatives, d’autre part l’impact de l’action publique sur les individus. Ceci permet d’expliquer les dynamiques de longue durée de l’action publique et les changements que cela opère. De tels choix nous placent alors dans une perspective néo-institutionnaliste.

Présentation du modèle d’analyse

L’action publique de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent notamment dans l’organisation terroriste BokoHaram est marquée par les dimensions institutionnelles qui mettent en exergue les relations verticales entre les institutions publiques et les jeunes qui sont en situation d’extrémisme violent. Il y a dès lors, une mise en perspective de la volonté politique d’enrayer et de prendre en charge la vie des individus vivant dans la région du nord particulièrement les populations les plus vulnérables et les jeunes qui se sont fourvoyés, enlisés dans l’organisation terroriste. Cette action publique de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme montre en effet l’intervention d’une diversité d’acteurs institutionnels dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes d’actions favorables à l’éradication du phénomène et à l’amélioration des conditions d’existence des jeunes dans le nord Cameroun. Cette étude met en évidence des variables qui entretiennent des relations complexes (1) qui sont par la même occasion accompagnées par des hypothèses (2) ; lesquelles nous permettent de présenter l’intérêt de l’étude (3).

Les relations complexes entre les variables de l’étude 

Le modèle d’analyse renvoi à la représentation des rapports entortillés les exactions de l’organisation terroriste BokoHaram et l’action publique de la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans cette organisation. La lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent, dont par hypothèse les variations sont censées dépendre de l’action publique, est appelée « variable dépendante » (Quivy et Van Campenhoudt, 1988, p. 106) ou encore « variable à expliquer », tandis que l’action publique dont les variations sont censées déterminer la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’EV, est appelé « variable explicative » ou « variable indépendante » (Ibid.). Notre concept systémique est dont la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’EV, il est construit empiriquement par un raisonnement déductif, tandis que notre concept opératoire isolé, concept construit à partir des observations directes, d’un raisonnement inductif, et d’un ensemble de thèses ou problématiques instituées est le concept d’action publique verticale. En effet, la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’EV dans le nord Cameroun s’inscrit dans le champ de la sociologie de l’action publique et de la sociologie des crises…

Il se trouve dès lors posé le problème des politiques institutionnelles de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’organisation terroriste BokoHaram. Les situations dans lesquelles se trouvent les acteurs et les jeux qu’ils manipulent avec d’autres acteurs fournissent une série d’opportunités. Une dimension prospective vient donc enrichir  le caractère rétrospectif des attitudes », un individu adopte telle stratégie parce qu’il a les capacités nécessaires matérielles, affectives, cognitives, relationnelles pour en assurer les risques et les difficultés. Cette analyse utilise les attitudes de ces différents acteurs (Etat, bokoharam et les jeunes) en fin de compte comme un dispositif de recherche. Ce qui nous amène alors à nous poser la question centrale de cette étude qui est la suivante : comment s’organise et s’explique l’action publique de lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent dans la région du nord Cameroun ? Cette préoccupation commande sans doute d’énoncer des hypothèses qui conduisent nos analyses.

Construction des hypothèses de recherche 

L’acte scientifique fondamental, c’est la construction de l’objet ; on ne va pas au réel sans hypothèse, sans instruments de construction. Dans cette perspective, l’hypothèse est une proposition de réponse à la question de départ, que l’on doit tester à l’épreuve des faits. Refuser de formuler des hypothèses fondées sur une théorie par un chercheur, c’est se lancer aveuglément et désarmer dans la quête de l’objectivité. Autrement dit, elle constitue une réponse anticipée à la ou aux-question (s) posée(s) dans la problématique. Elle tend à formuler une relation entre les faits signifiants et aide à sélectionner les faits observés. L’épistémologue français Claude Bernard (1865) renchérit d’ailleurs ces propos et souligne que « si l’on expérimentait sans idées préconçues, on irait à l’aventure  car, dans le processus de la recherche scientifique, le chercheur découvre en fait ce qu’il cherche ».  C’est en outre dans le respect du principe du parallélisme intersubjectif et y faisant suite, que nous formulons ici une hypothèse principale ou macro-hypothèse (a) et deux hypothèses secondaires encore appelés micro-hypothèses (b).

Hypothèse principale ou macro-hypothèse

L’hypothèse centrale de notre étude se présente comme suit : la lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’extrémisme violent au nord Cameroun notamment dans l’organisation terroriste BokoHaram est l’expression de la mise en évidence d’une politique de confiance des institutions publiques à l’égard des jeunes enrôlés dans l’extrémisme violent. Il s’agit pour les autorités publiques d’assurer une politique de légitimation institutionnelle et d’amener les jeunes à comprendre que les autorités publiques s’occupent de leur problème. L’investissement accru de l’action publique cherche à éradiquer l’extrême violence dans la région du nord Cameroun. Cette action publique est marquée par la mise en place des politiques déterminées par les institutions qui favorisent cette lutte contre l’enrôlement des jeunes dans l’organisation terroriste et qui, par ailleurs, conditionnent les comportements des acteurs. De cette hypothèse principale découlent d’autres hypothèses secondaires qu’il convient ic and nunc de présenter. Il s’agit là alors des réponses provisoires complémentaires à l’hypothèse principale.

Hypothèses secondaires ou micro-hypothèses

Afin de répondre à notre problématique centrale de l’étude, les hypothèses complémentaires suivantes sont apportées. Elles sont donc énoncées comme suit : dans la région de l’extrême nord au Cameroun, les autorités politiques ou les institutions publiques qui passent d’abord par une volonté de compréhension du phénomène afin de l’enrayer, participent par la même occasion d’une socialisation des jeunes engagés dans l’organisation terroriste afin de les intégrer dans les programmes de réinsertion gérés par les institutions publiques.

Pour déconstruire la menace d’enrôlement des jeunes et de détournement de la jeunesse des voies vertueuses, les gouvernements en tentant de cerner les facteurs explicatifs dudit phénomène s’organisent à mettre en œuvre des stratégies souverainistes et collégiales relativement à une bonne gouvernance sécuritaire profitable tous azimuts en direction des jeunes.

Intérêt de l’étude

Les études intrinsèquement scientifiques regorgent en général un double intérêt ; l’un  scientifique comme l’affirme Thomas Khun (1972), et l’autre pratique au sens de Jurgen Habermas (2008). De ce débat doctrinal, il apparait que deux mobiles  qui justifient le choix de notre sujet.

L’intérêt scientifique de notre étude

Le sujet apporte une contribution particulière à l’analyse de l’action publique menée en vue de l’endiguement des enrôlements des jeunes dans la violence. L’apport théorique  de notre travail portant sur l’action publique de lutte contre l’enrôlement des jeunes en situation d’extrémisme violent et radicalisés par l’organisation terroriste BokoHaram dans la région du nord Cameroun est important et nous permet d’interpréter notre objet malgré sa variabilité  à travers le néo-institutionnalisme pour démontrer les différents moyens sécuritaires et les stratégies de lutte concertées mises sur pied pour lutter contre l’extrémisme.

L’intérêt pratique de l’étude

Il s’agit pour nous de montrer que la régionalisation de la menace terrorisme entraine un  horizon de régionalisme sécuritaire via les  mécanismes  régionaux de prévention et de gestion des conflits. Ce sujet axé sur l’enrôlement de la jeunesse dans le BokoHaram, avec une déclinaison de gouvernance sécuritaire considérée comme socle de bâtisseur  de coalitions spontanées contre le terrorisme, vise aussi analyser l’évolution du phénomène. Il s’agit alors ici de rendre compte de la dynamique institutionnelle d’éradication de la violence…

DOBAH DJAKDJING

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