Je ne suis pas très fort des muscles, et ma personnalité n’est pas de type « révolutionnaire ». J’ai horreur des bagarres et je n’encouragerai ni n’enverrai jamais quelqu’un molester qui que ce soit.
Et surtout pas un homme de 87 ans, qui plus est President de la république, légitime ou non. Ma tête reste ma meilleure arme, et je n’ai jamais combattu avec autre chose que les mots. Ce n’est un secret pour personne.
Mais c’est précisément parce que je n’ai que ma tête que je n’encouragerai pas non plus l’esbroufe. Des individus à qui l’on a fait croire que le patriotisme se résumait à l’amour pour Paul Biya, scandent depuis peu : « Ces gens ternissent l’image du pays à l’étranger. »
C’est comme si on disait : « À cause de cette pluie, l’océan est complètement mouillé »
Alors d’entrée de jeu, je suis bien d’accord avec vous. Les derniers événements ne bonifient pas l’image du Cameroun à l’extérieur. On ne verra jamais des Français manifester devant le Hilton à Yaoundé pendant que Macron s’y trouve, ni des Suisses bagarrer à Limbé entre pro-et anti-confédération. A ce niveau, il est évident que depuis des décennies, l’Afrique noire a gravi tous les étages de la dérision.
Mais que votre parti pris ne vous aveugle point. Je n’ai jamais donné raison à mes parents quand j’estimais qu’ils avaient tort. Ne fermez donc pas les yeux devant la profondeur de l’iceberg pour ne voir que sa surface. Rappelons que c’est parce qu’on les empêche de manifester chez eux que des gens se retrouvent à le faire chez les autres. Dans l’absolu, ça fait 37 ans que le Cameroun n’est plus qu’une serpillère déchirée aux yeux du monde. Faut-il vraiment revenir sur ce que tout le monde sait déjà ?
En ce moment même, la CAN se joue en Égypte, alors qu’elle aurait dû avoir lieu chez nous. Un projet confié il y a 5 ans (2014) et tombé à l’eau pendant que l’Égypte n’a eu que 6 mois pour y arriver. Le stade du 26 mars à Bamako qui abrita la CAN Mali 2002 coûta 18 milliards de FCfA pour 60 000 places, contre près de 200 milliards de CFA pour le stade omnisports Paul Biya … qui d’ailleurs n’est pas achevé !
Qu’est-ce qui ternit l’image du Cameroun ?
40 000 francs suisses la nuit. C’est le prix de la délégation camerounaise pour 24 heures à l’Intercontinental de Genève. Soit 23 millions de francs CFA. Je vous laisse calculez vous-mêmes le chiffre en 37 ans, en raison de 4 mois de séjour par an. Au même moment, l’étroitesse des routes vient de tuer 20+ personnes à Batié, Monique Koumatekel meurt devant un hôpital à Douala parce qu’elle n’a pas d’assurance pour se soigner, la plus grande ville du pays ne dispose pas d’éclairage nocturne, et des écoliers à l’Extreme-Nord font les classes sous 40 degrés à l’ombre d’un l’arbre. Au XXIe siècle.
L’image du Cameroun en sort-elle grandie ?
Le kilomètre d’autoroute à 6 milliards, quand il est de 1,7 milliards en Afrique du Nord, et un axe Douala-Yaoundé toujours pas fini de moitié malgré cela! Des sacs de ciment à 17 000 au lieu de 4500 et des camions de sable à 700 000 frs, sans compter les operations de gré à gré. Quand la Libye de Khadafi était à 2% de dette au plus fort de la crise de 2008, le Cameroun qui venait de connaître l’allègement de la sienne, ( point d’achèvement en 2006 ) atteint aujourd’hui les 7 000 milliards de francs CFA de dette extérieure. Soit près de la moitié de son PIB.
Que va t-on salir quand tout est sale ? En plein centre-ville de notre capitale, la poussière est le meilleur ami de l’homme.
Lors du saccage des ambassades le 26 janvier, ( qui sont bien sûr à condamner ) par cette fameuse B.A.S, l’on a réussi en moins de 24 heures, l’exploit de vous scandaliser pour des actes de vandalisme, et de vous rendre insensibles à des tirs de balle sur les jambes d’une femme. Au point où l’on a entendu des choses incroyables du genre : « Ils ont osé s’attaquer à NOS institutions à l’étranger », quand il s’agissait des choses, mais « C’est bien fait pour elle! » quand il s’agissait des humains. Vous êtes devenus des monstres à une vitesse supersonique. Vous faites peur.
Les saccages s’étant passés non pas avant, mais après les fusillades, ressemblent plus à une réaction spontanée à une barbarie précédente, qu’à un acte planifié à l’avance comme la propagande fait croire aux naïfs. Le crime de ces femmes : avoir marché dans les rues de Douala. Dans votre pays, ça mérite qu’on te tire dessus.
Et vous arrivez à dormir la nuit avec ça dans la conscience.
Si vous regardez un match du Cameroun sur une chaîne allemande, vous aurez envie de vous suicider. On ne parle pas de foot, mais de politique. Et on nous cuisine copieusement sur la médiocrité de notre pays à toute échelle. Cela fait bien longtemps que nous n’avons plus de réputation. Et cessez de croire qu’aimer son pays, c’est clamer que tout va bien, alors que depuis une vie entière, rien ne va.
Aimer son pays, c’est dire ce qui ne va pas, afin que les choses s’améliorent. C’est crever l’abcès qu’on a dans la jambe pour pouvoir se remettre debout. Sinon il pourrit, et c’est tout le corps qui en souffre.
A cause de cette mauvaise foi en majuscules, la jambe est aujourd’hui en état de décomposition avancée. Vous avez laissé pourrir une situation totalement évitable. A l’heure qu’il est, personne n’en sortira vainqueur en cas de dérive. Ce qui nous attend tous, c’est un vrai risque de chaos. Le vrai chaos lent dont parlait l’autre.
Si j’étais président, j’aurais à coup sûr tendu l’oreille à cette partie de la population qui ne m’aime pas, pour comprendre ce qui les anime. Il n’y a rien de plus fou que de répondre par la violence à des personnes non violentes. Ça entraîne cette forme de radicalisation telle qu’observée chez les Ambazoniens, et qui se répand sans cesse puisque la répression ne faiblit pas. La violence n’engendrant que la violence.
Nous ne sommes pas ici dans une excitation des états-d’âme et des égos, mais dans une analyse froide de faits mathématiques. Nul besoin d’être du RDPC, de la BAS, du CPP, du MRC ou même de l’ONU pour s’en apercevoir.
Nous sommes juste un peuple vampirisé qui, parce qu’il avait peur du coup de matraque, a préféré s’allier à son bourreau pour se donner l’illusion d’être du bon côté. C’est aussi une loi naturelle : l’instinct de survie. La soumission instantanée à la loi du plus fort. Une adhésion par intimidation plutôt que par conviction. Personne n’aime Paul Biya, mais personne n’ose le dire, par peur d’être emprisonné sans procès.
Je m’en désole profondément, car c’est en fait ça qui ternit l’image de notre pays à l’étranger. Lequel d’entre vous pourrait bomber le torse devant un Suisse en lui disant : « Au fait, chez nous, si tu marches, on te bute, et c’est normal ! ». Sachant que la Suisse est le pays au monde où le peuple s’indigne le plus, et pour bien moins que ça ?
À présent qu’on s’approche du point de non-retour, qui aura en premier, l’humilité de brandir l’arbre de paix ?
Et l’image, qu’est-ce que c’est ?
EKANGA EKANGA CLAUDE WILFRIED
( Dans une guerre, il n’y a ni ange ni démon. Le démon, c’est celui qui la perd )