Mouvements d’humeurs à répétition des enseignants ; mise en œuvre approximative des réformes ne tenant pas effectivement compte de l’objectif et de la mission assignée à l’éducation ; non considération des objectifs, du contexte et des besoins réels du Cameroun en matière d’éducation ; gouvernance et intendance empreintes de reproches… Telles sont, entre autres, les insuffisances interpellant le gouvernement et la communauté éducative que relèvent des observateurs avertis de ce secteur en mutations depuis l’arrivée du Pr Laurent Serge Etoundi Ngoa à la tête du département ministériel. A quand la sortie de l’auberge ? Question à un sou.
L’éducation a pour mission générale la formation de l’enfant en vue de son épanouissement intellectuel, physique, civique et moral et de son insertion harmonieuse dans la société, en prenant en compte les facteurs économiques, socioculturels, politiques et moraux. Au titre de la mission générale, l’éducation a pour objectifs : la formation de citoyens enracinés dans leurs cultures, mais ouverts au monde et respectueux de l’intérêt général et du bien commun; la formation aux grandes valeurs éthiques universelles que sont la dignité et l’honneur, l’honnêteté et l’intégrité ainsi que le sens de la discipline; l’éducation à la vie familiale; la promotion des langues nationales; l’initiation à la culture et à la pratique de la démocratie, au respect des droits de l’homme et des libertés, de la justice et de la tolérance, au combat contre toutes formes de discrimination, à l’amour de la paix et du dialogue, à la responsabilité civique et à la promotion de l’intégration régionale et sous régionale. L’éducation a également pour objectifs : la culture de l’amour de l’effort et du travail bien fait, de la quête de l’excellence et de l’esprit de partenariat; le développement de la créativité, du sens de l’initiative et de l’esprit d’entreprise; la formation physique, sportive, artistique et culturelle de l’enfant; la promotion de l’hygiène et de l’éducation à la santé.
Comme tel, l’État a le devoir d’assurer à l’enfant le droit à l’éducation. Il garantit à tous les enfants l’égalité de chances d’accès à l’éducation sans discrimination de sexes ; d’opinions politique, philosophique et religieuse ; d’origines sociale, culturelle, linguistique ou géographique. L’enseignement est apolitique. Au primaire, il est obligatoire. L’école publique est laïque. Sa neutralité et son indépendance vis-à-vis de toutes les religions sont garanties. La mission de l’éducation et ses objectifs ont-ils été atteints ? Bien prétentieux qui répondrait par l’affirmative. Car, relèvent des observateurs avertis, aux insuffisances enregistrées sur les aspects évoqués se greffent les problèmes de gouvernance et d’intendance.
. Diagnostic approfondi d’experts
Selon une étude menée par la Banque mondiale, les problèmes qui se posent dans le système éducatif du Cameroun sont étroitement liés aux problèmes de gouvernance et de gestion. En effet, des spécialistes dans les domaines de l’éducation, de la gouvernance et du développement social se sont réunis à Yaoundé, le 11 avril 2012, pour examiner les problèmes du système éducatif camerounais et les moyens de s’y attaquer grâce à des interventions pilotes. La réunion faisant suite à la publication du rapport de la Banque mondiale intitulé : « Gouvernance et gestion au sein du secteur de l’éducation au Cameroun».
Bien que le Cameroun fût en voie d’atteindre l’objectif d’universalisation de l’enseignement primaire à l’horizon 2015, l’un des objectifs de développement pour le millénaire, le pays avait encore un long chemin à parcourir en ce qui concerne le taux d’achèvement des études primaires, le taux de scolarisation des filles par rapport aux garçons, le taux de rétention des élèves et les disparités régionales dans l’accès à l’éducation. Selon la deuxième enquête de suivi des dépenses publiques en 2010, le taux net de scolarisation primaire avait augmenté de 0,3 % entre 2001 et 2007, et le taux d’alphabétisation de 0,8 % sur la même période. Mais, dans le troisième numéro de la revue Bilan économique du Cameroun, « moins de la moitié de la population en âge scolaire a achevé le cycle primaire en 2009 ». Résultat, « bon nombre de jeunes quittaient l’école sans savoir lire, écrire ou compter et donc étaient incapables de s’adapter à l’évolution du marché du travail ».
Le nouveau rapport de la Banque mondiale met en exergue les causes possibles de cette triste réalité. Selon ce rapport, « les fortes disparités régionales en ce qui concerne les résultats scolaires et le fonctionnement approximatif du système éducatif du Cameroun sont en partie attribuables à deux problèmes : la mauvaise gestion du système et le manque de transparence dans l’allocation des ressources ». Principaux constats : manque de transparence dans le fonctionnement et la performance des établissements scolaires, et contrôle irrégulier et inefficace du travail des enseignants. En outre, les ressources (humaines et matérielles – « minimum nécessaire ») sont allouées de manière arbitraire aux établissements, sans tenir compte de la situation et des besoins. La participation des citoyens à la promotion d’une bonne gouvernance a également un impact minime sur la performance des établissements scolaires. Les autorités camerounaises, les organismes de financement partenaires et la société civile sont confrontés à un système complexe de gestion du secteur de l’éducation, système à la fois lourd et inefficace, selon ledit rapport, ce qui a de graves effets sur les résultats.
Ces résultats ont été examinés et entérinés par les parties prenantes lors de deux ateliers régionaux organisés dans l’Extrême-Nord et le Nord-ouest du Cameroun. Le plan d’action formulé à cette occasion avait été présenté aux autorités centrales lors d’une table-ronde tenue à Yaoundé. Selon les parties prenantes, il faut s’attacher en priorité à mieux contrôler le travail des enseignants, à régler les problèmes de gestion du « minimum nécessaire » et à accroître la participation communautaire à la gestion des établissements scolaires. Ces mesures pourraient améliorer sensiblement l’éducation et les acquis scolaires.
. Nouvelles actions pilotes
Malgré l’augmentation des ressources allouées, l’enseignement reste de qualité approximative dans certains établissements scolaires au Cameroun. L’une des causes principales, a-t-on noté, est l’insuffisance des capacités de gestion à différents niveaux de décisions. L’absence d’outils de gestion basés sur les résultats et le manque de transparence au niveau des établissements scolaires sont également des obstacles de taille à l’amélioration du fonctionnement du système et de la qualité de l’enseignement.
En collaboration avec le ministère de l’Education, la Banque mondiale a lancé en 2011 une initiative visant à établir des fiches d’évaluation de l’éducation contenant des données comparatives sur la situation locale (zones urbaines/rurales, enclavés, éloignement du centre de santé…), les ressources disponibles (enseignants, manuels scolaires, subventions scolaires…) et les résultats (taux de succès aux examens, taux d’abandon scolaire, taux de redoublement, taux de parité garçons/filles…) à l’intention des différents échelons hiérarchiques et des écoles. Par la suite, des fiches ont été établies au niveau des écoles et autres grâce aux données annuelles recueillies par le ministère. Des directives méthodologiques ont également été élaborées pour permettre au ministère d’actualiser facilement les fiches chaque année. Les deux principales tâches restant à accomplir sont : la mise au point de la version simplifiée des fiches d’évaluation des écoles destinée aux communautés (contenant des graphiques et illustrations), et l’utilisation des indices d’évaluation des écoles (indice « contexte », « ressources » et « résultats ») figurant sur chaque fiche afin de réviser le mode de financement des écoles primaires, l’idée étant d’évoluer vers un système de financement basé sur les résultats.
. Transparence du budget
Le Cameroun a un score inférieur à la moyenne régionale pour plusieurs indicateurs d’accès à l’information (p. ex. indice Freedom House ou indice global d’intégrité), et n’a obtenu que deux points dans l’indice de transparence du budget en 2010 (comparé à une note moyenne de 30 pour l’Afrique subsaharienne). Lancée à titre pilote dans les régions de l’Adamawa et du Nord-ouest, l’initiative pour la transparence du budget visait à promouvoir la transparence du budget à différents niveaux : écoles, centres de santé, conseils locaux, divisions et régions. L’objectif étant de simplifier, d’analyser et de diffuser les données budgétaires pour sensibiliser les fonctionnaires et les institutions locales aux questions budgétaires et renforcer leurs capacités pour qu’ils engagent un dialogue à ce sujet avec les citoyens, d’une part et encourager ces derniers à exiger une bonne gouvernance, d’autre part.
Dans la première phase de l’initiative, 60 établissements d’enseignement primaire et secondaire, 20 centres de santé et 12 conseils locaux des deux régions avaient ouvert leurs livres de comptes à leurs communautés et présenté des informations budgétaires lors de réunions publiques. En outre, l’initiative avait utilisé la radio et le théâtre pour souligner combien il importe d’améliorer la transparence des recettes et des dépenses publiques. Enfin, on avait créé un indice de transparence du budget des conseils locaux pour comparer les municipalités dans ce domaine et encourager le dialogue entre les maires sur les moyens d’améliorer l’accès aux données financières des municipalités.
. Marché du développement
Dans le cadre de son programme de gouvernance intitulé : Miser sur le changement pour s’attaquer aux problèmes de gouvernance au niveau sectoriel et de la demande au Cameroun), la Banque mondiale a lancé en 2011 un concours sur le thème : Marché du développement, auquel plus de 200 organisations de la société civile avaient participé, l’objectif était de recenser et financer des initiatives novatrices de la société civile pour renforcer la participation communautaire en vue d’améliorer la gouvernance locale de l’éducation, de la santé ou des ressources forestières. 06 des 15 projets financés, portaient sur le secteur de l’éducation pour un montant total de 120.000 dollars.
Abel Bove, spécialiste de la gouvernance, avait indiqué que « ces initiatives suscitent un dialogue intéressant sur l’action à mener et montrent que le changement est possible ». Elles encouragent les responsables de l’éducation à prendre des décisions éclairées pour améliorer la gouvernance, à publier les informations disponibles pour promouvoir la transparence, et à inviter la population à participer à la promotion d’une bonne gouvernance. Elles témoignent de la détermination de la Banque mondiale à aider les autorités camerounaises à améliorer la gouvernance de façon à offrir des services de meilleure qualité avec la participation active de la population.
. 2021/2022 : enjeux de l’évaluation à mi-parcours
La réunion de concertation relative à l’évaluation à mi-parcours de l’année scolaire 2021/2022, au ministère de l’éducation de base, s’est tenue récemment à Yaoundé. Selon le Pr Laurent Serge Etoundi Ngoa, cette année scolaire est placée sous le prisme de la « Modernisation et de la résilience du système éducatif, pour un enseignement de qualité et des apprentissages autonomes ». Crise sanitaire marquée par les effets pervers du Covid-19 oblige.
Dans son discours, le Ministre de l’Education de Base a rappelé que « le système éducatif est très sensible et affecte les populations, soucieuses de l’avenir de leurs enfants ». Aussi, a-t-il invité l’ensemble du personnel, à tous les niveaux, à être des modèles, aussi bien dans la gestion des ressources financières allouées que des ressources humaines mises à disposition. Il a en outre prescrit aux responsables en charge des examens et concours, de faire une gestion efficiente des frais d’inscription y relatifs. Les responsables des services centraux et déconcentrés du département ministériel ont tablé sur : « Le bilan du déroulement des activités d’enseignement – apprentissage dans les écoles et structures de pilotage du Minedub », « Les innovations et les orientations du budget de l’État au titre de l’exercice 2022 », « La préparation des examens et concours de l’année scolaire en cours »…
Evidemment, relèvent davantage des observateurs avisés, si le patron de l’éducation de base a tenu à rappeler les enjeux du système éducatif par rapport à l’avenir des enfants, cela signifie qu’il y a anguilles sous roches. Selon certains, le Pr Laurent Serge Etoundi Ngoa interpelle solennellement ses collaborateurs à être des modèles aussi bien dans la gestion des ressources financières allouées que des ressources humaines mises à disposition, parce qu’il il ferait allusion à quelques dérives observées. Il s’agirait, entre autres, de la corruption rampante dans la gestion des mouvements des enseignants, du harcèlement sexuel, de règlements de comptes, du détournement des dotations, du trafic d’influence et autres promotions dites canapés. Aussi, suggèrent-ils que le Ministre Etoundi Ngoa mette un accent sur la lutte contre ces pratiques qui diluent l’œuvre incommensurable de réformes qu’il a engagée depuis 2019, date à laquelle il a été nommé par le Chef de l’Etat, Paul Biya, à la tête du ministère de l’Education de Base.
Il faut le relever, à la représentation nationale, le 30 novembre 2021, le Ministre de l’Education de Base a défendu, devant la Commission des finances et du budget de l’Assemblée nationale, le projet de budget 2022 du Minedub. Un projet de budget d’un montant 244 034 379 214 Fcfa, qui a connu une augmentation en valeur absolue de 11 milliards 292 millions 229 mille 214 Fcfa. Il s’agit-là d’un projet de budget qui présente quelques innovations, à savoir : la mise en œuvre effective du plan d’action multisectoriel de la politique nationale genre au Minedub ; la poursuite de l’octroi des primes d’encouragement en vue de fidéliser à leurs postes de travail les enseignants en service dans les zones d’éducation prioritaire ; la gestion déconcentrée des ressources relatives à l’organisation des jeux scolaires…. Cette batterie de mesures, indique le ministre, est une réponse progressive aux préoccupations des enseignants. Faire face à un mouvement d’humeurs à laquelle est témoin l’opinion publique du 14 au 18 février dernier, est-on tenté de penser, loin de fragiliser le ministère, devrait servir de motif de rectification du tir. Car, si beaucoup a été fait jusqu’ici, il n’en demeure pas moins qu’il y a encore du chemin à faire dans le cadre de l’amélioration des conditions du corps enseignant de l’éducation de base. C’est à ce titre qu’il faut saluer les partenaires au développement dont les apports influencent positivement la politique en matière d’éducation de base au Cameroun. C’est le cas du Parec – le Programme d’Appui à la Réforme de l’Education au Cameroun
. Apport indéniable du Parec
Le Ministre de l’Education de Base, Président du Copil – le Comité de pilotage du Programme d’Appui à la Réforme de l’Education au Cameroun, a présidé, le 25 novembre 2021 à Yaoundé, les travaux des sessions ordinaire et extraordinaire dudit comité. Il avait été question non seulement de valider et d’adopter le Plan de Travail Budgétisé Annuel du Parec pour l’année 2022, mais également de valider la cartographie des risques du Parec qui, selon le président du comité de pilotage, mérite une attention particulière.
Le 27 août 2021 à Yaoundé, le Minedub, lors les travaux de la 3e session du comité de pilotage du Parec, avait annoncé la signature, par la Banque mondiale et le gouvernement, d’une convention relative à un fonds additionnel d’un montant de 57,42 milliards Fcfa, supplémentaires alloués au Parec. Cet apport considérable, avait souligné le Président du Copil, venait renforcer les indicateurs d’amélioration de la qualité de l’éducation, notamment en ce qui concerne le nombre d’enseignants à recruter, de manuels à distribuer aux écoles publiques, d’élèves bénéficiaires du Pbf – Financement basé sur la performance ou du taux de possession du manuel par élèves. Les travaux avaient essentiellement porté sur le bilan de la mise en œuvre des activités du Parec de la période allant de janvier à aout 2021. Une bouffée d’oxygène de plus à mettre à l’actif du Mindub, résolument engagé à la réforme de l’éducation de base, qui pose encore un problème en termes de qualité dans un contexte marqué aussi bien par la crise sanitaire que par les besoins réels de performances de nature à ménager à l’avenir le marché de l’emploi.
. Réforme du contenu de l’éducation : tendon d’Achille
Les réformes citées plus haut ont touché plusieurs aspects du système éducatif, sauf un, soutiennent les mêmes observateurs. Il s’agit du contenu de l’éducation. En effet, il y a quelques années, le gouvernement a entrepris de professionnaliser les enseignements au Cameroun. Cette ambition s’est matérialisée, entre autres, par l’adoption de l’Apc – l’Approche par les compétences, par la révision des programmes scolaires… Selon les observateurs, si l’on n’observe pas de réels changements dans l’éducation, c’est parce que le contenu est l’élément qui définit tout.
L’introduction de l’Apc dans le système éducatif s’est accompagnée de ce qu’on a appelé « nouveaux programmes ». Selon eux, il s’agissait simplement d’une réorganisation des anciens programmes. Même si les livres au programme ont été revus, renchérissent-ils, il n’en demeure pas moins que les contenus sont restés identiques, et qu’on les a simplement regroupés d’une façon différente pour respecter les différents modules. Il est donc nécessaire, pensent-ils, de s’appuyer sur des éléments bien précis pour définir les critères d’une éducation de qualité.
S’agissant des objectifs, du contexte et des besoins réels des populations, suggèrent ces mêmes observateurs, une réforme doit tenir compte de l’objectif et de la mission assignée à l’éducation. Dans des matières comme l’Histoire, argument-ils, l’on continue à enseigner un contenu qui est plus porté vers l’extérieur que vers l’Afrique ou le Cameroun. En éducation à la citoyenneté, poursuivent-ils, l’étude des systèmes politiques européens occupe inutilement une grande place dans le programme. Tout comme en Géographie où le climat et le relief des régions éloignées du Cameroun sont encore au programme. Même souci pour les langues dites vivantes, enseignées aux apprenants et dont l’on se demande l’apport réel dans la construction du citoyen qu’on veut pour le Cameroun.
L’amélioration de l’éducation au Cameroun, soutiennent davantage ces observateurs, doit tenir compte des besoins du pays. Par exemple, le Cameroun est un pays où 54,5% des ménages pratiquent l’agriculture (dont 81,8 % en milieu rural) et où les terres sont fertiles. C’est un atout pour le pays et exploiter cette particularité serait un coup d’accélérateur pour le développement (en 2017, la contribution de l’agriculture à la croissance économique du Cameroun a été de 76,38 %). Ce serait un pas vers la professionnalisation des enseignements, et les produits d’un tel système seraient opérationnels très tôt.
Au demeurant, le Syndicat National des Instituteurs Contractuels et Maîtres des Parents (Snicomp) a donc exprimé son ras-le-bol du 14 au 18 février 2022. Loin d’être la seule affaire du ministère de l’Education de Base, il est temps que le gouvernement en place, avec à sa tête le Premier ministre Joseph Dion Ngute, s’emploie à prêter une oreille attentive aux revendications des seigneurs de la craie. Il y va de l’avenir du Cameroun. La jeunesse étant le fer de lance de la nation. Tout comme de la paix et de la stabilité des institutions républicaines. Le contexte économique n’est pas si favorable, rétorquerait-on, mais ce gouvernement peut trouver un début de solutions au payement des rappels et autres avancements des enseignants…
Dossier réalisé par Bertrand TJANI